Aller se poster devant la photocopieuse était une chose. En avoir l'utilité en était une autre. Mais Lassie s'en fichait un peu, elle avait oublié à quoi elle servait vraiment dans cette entreprise et tant qu'elle avait de quoi payer son pain, ça ne la dérangeait pas. Depuis le début, personne n'était venu la voir, lui dire ' Mlle Bennet, pouvez-vous vous occuper de ces dossiers? Mlle Bennet, Mister Rose vous demande dans son bureau, concernant une réunion... '', non, personne. La trouvaient-ils trop jeune pour travailler, la prenaient-ils juste pour la fille d'un employé qui vagabonde là parce qu'elle veut voir comment papa maman travaillent dans l'entreprise? Tout était possible. Peut-être l'avaient-ils oubliée, tout simplement. Mais elle n'osait pas aller voir quelqu'un de la direction, elle était trop perdue dans le monde du travail et pensait qu'il suffisait d'adresser la parole à un supérieur sans demander la permission pour être virée, alors elle ne faisait rien, elle allait de bureaux en salles, sans oser le tailleur-jupe-grise-et-talons-hauts, cheveux relevés et dossiers sous le bras, elle allait juste en touriste mode salopette en jean dessus une chemise simple, quelques barettes pour éviter de manger ses cheveux et regard vide sur le monde des adultes.
Toujours devant la photocopieuse, rêveuse et mains dans ses poches trouées, elle voulut imaginer sa mère à sa place. Elle ne vit qu'une pauvre femme s'endormant sur son bureau, faisant en cachette des origamis ou utilisant pour jouer un peu la tablette graphique de luxe du bureau d'à côté, s'en penser aux divers jeux en ligne qu'elle aurait l'idée d'installer.
A les voir comme ça, elle et sa mère, on se demandait qui tenait le rôle d'adulte. Elle l'avait eue au téléphone ce matin, elle reniflait, comme d'habitude. Elle lui enverrait de l'argent, une fois son chèque reçu, même si elle savait qu'elle en aurait de l'urticaire à recevoir une avance d'argent de sa propre fille. Bien fait, au fond.
Lassie eu un soupir en gonflant ses joues, ses soupirs bruyants qui appellent au secours, au secours à l'ennui. C'est vrai qu'elle aurait du amener une occupation mais, même histoire, elle n'osait pas. Elle n'osait même pas mentir sur quelque chose à faire ou une utilité remarquable qui flatterait son ego. Rien. Rien, rien, rien, rien, rien à faire, à dire, à penser, vide complet, arrêt immédiat de Vista, démarrer ultérieurement les mises à jour et veuillez mettre sur silence votre télèphone portable. Elle n'avait plus qu'à refaire un tour dans l'ascenseur. Prenant une expression de bouderie d'enfant gatée et déçue, elle fit demi-tour et alors qu'elle sortait de la pièce, se cogna à quelque chose, ou même plutot à quelqu'un.

S'il y en bien un qui ne s'ennuie pas, dans l'entreprise, c'est John.
C'est à dire que non, il s'ennuyait, mais il vivait très bien la chose. En fait, John est capable de s'ennuyer pendant des heures sans se faire chier. Fort, non?
Mais bon, l'esprit humain a besoin d'un minimum de distraction, John vient de s'acheter un lecteur MP3 et la vie est trop courte pour simplement rester assis et remplir des dossiers. Donc notre blond national va traîner sa carcasse et ses costumes luxueux de bureau en bureau en écoutant du Liza Minnelli, il a même fait son petit tour des ascenseurs. John adore les ascenseurs. Et non, vous n'avez pas envie de savoir pourquoi. Je dis ça pour votre propre bien.
Anyway, John s'était lancé dans un solo muet de ' If you hadn't... But you did ', et déambulait les mains dans les poches. Ces derniers temps, il traînait beaucoup plus souvent au premier étage. Il y avait beaucoup de cachettes ( au cas ou Luo l'aurait cherché ) et puis ça faisait un peu de distraction pour les employés. Et en plus il y avait plein de jolies filles qui ne demandaient rien de mieux qu'une petite entrevue en privé avec ' Monsieur le directeur adjoint ', sans doutes étaient elles impressionnées par sa majesté de grand propriétaire terrien. Ou alors juste son cul, au choix.
Moi je dirais surtout son cul.
Qu'importe ( les détails, les détails! ) pour l'heure John avait l'entrée de la salle de la photocopieuse dans le viseur. Un jour, il avait photocopié une centaine de tracts appelant à la révolution prolétarienne et s'était amusé à les distribuer à la sortie des bureaux. John n'aimait pas du tout les communistes ( si le gouvernement avait été socialiste, comment aurait il pu encore apparaître dans toute sa majesté de grand propriétaire terr... Vous connaissez la musique ) mais il fallait admettre que les manifestes communistes avaient un charme suranné que ceux des néonazis n'auront jamais.
Bref, tout à ses réflexions, John ne remarqua pas la mince silhouette de femme, et percuta sans douceur la blonde employée qui sortait du local. Il vacilla légèrement, se rattrapa au mur. La jeune fille semblait avoir seize ans, elle portait une salopette et il songea machinalement qu'il faudrait qu'il se renseigne un peu plus sur le petit personnel, à l'avenir, parce que quand même y'en avait une ou deux qui étaient bigrement baisables présentables, et puis il fallait réchauffer les relations patronat/salariés.
" Veuillez m'excuser, mademoiselle " sourit-il entre ses mèches " Je suis un grand maladroit "

[ Lire ta réponse sur les ''pop pop popop'' de ''Don't Be Cruel'' d'Elvis Presley était magnifique, donc j'accepte avce honneur un rp avec toi, cher John!... J'ai reçus ton message ; ) ]

Relevant ses doux yeux de biche vers la chose contre laquelle elle avait chuté, Lassie vacilla un peu, reculant un pied maladroit, pour retrouver son équilibre et surtout ne pas rester ainsi collée à un inconnu. Bel inconnu, si je n'ose dire. Il devait venir de cette race de personnes là avec qui il faut mettre des lunettes de soleil pour éviter d'être trop éblouis, et venir avec un tapis rouge qu'on déplit au fur à mesure qu'ils avancent...
Et bigre, que cet homme respirait la fraicheur et le soleil, c'en était presque flippant! Plus elle le fixait et plus sa bouche restait semi-close, avortant une phrase polie qu'elle aurait lachée en cas normal avec un soupçon de politesse et d'agacement avant d'aller s'ennuyer ailleurs. Il dégageait cette chose là qu'on ne comprendra jamais, ce sourire solaire et ces yeux lumineux qu'on pensera ne jamais pouvoir faire un jour. Il était comme ces hommes et garçons entourés de gens qui les respectent, riant mélodieusement quelque part dans la cour, et que nous, pauvres mortels, n'oseraient pas approcher. Ces hommes beaux, tout simplement, qu'on ne peut atteindre, certains que personne n'attendra jamais, parce que, tout simplement, ces hommes beaux sont tellement beau qu'ils n'auraient besoin de chercher parmis d'autres humains le plaisir du beau, du merveilleux: il suffirait pour eux de se satisfaire en se regardant dans une glace.
Et Lassie savait que ces hommes beaux aiment en général les réactions éblouies des jeunes filles en fleur qu'ils croisent, par plaisir de flatterie au moins, ou par une envie de fierté, de savoir qu'on peut mettre à ses pieds chaque fille de ce monde. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle tenue à reprendre rapidement du poil de la bête, elle se décala sur le côté pour le laisser passer, laissant sur son visage un simple sourire poli et distant.

" Je vous en pris, j'avais la tête dans les nuages... "

Roh, fais pas ta japonaise, grommela intérieurement John devant le visage fermé de Lassie. Voilà, ça, ce genre d'expression lisse et artificielle. Elle lui faisait le plan geisha moderne, ou quoi?
Il détailla la salopette et les barrettes. Cette fille, elle devait être célibataire. Cette fille, elle devait se faire chauffer des surgelés ou des pâtes, le soir, elle devait aimer les bons livres et la bonne musique, et puis sûrement, cette fille était comme toutes les filles jolies et à côté de leurs pompes, elle n'avait pas de chance en amour. C'était ce genre là que John préférait. Elles tombaient facilement dans le panneau, elles étaient gentilles au lit et pas trop regardantes sur ses petites escapades. Et puis elles étaient aimantes, surtout.
Je crois qu'un jour, je vais envoyer John se faire psychanalyser, il a clairement un problème avec les femmes.

" Hé bien, nous sommes tous deux irrécupérables, voilà un joli point commun " répondit-il un peu plus froidement, un peu comme s'il pensait à autre chose. Il s'adossa au mur en triturant négligemment un bouton de chemise, le dernier. Le fil était déjà fatigué et le bouton roula à terre, John soupira, c'était une chemise qui lui avait coûté presque 120£. Puisque j'ai le temps devant moi, peut être devrais-je vous parler un peu de la mise de John. Elle est toujours très luxueuse et très négligée. ça fait un peu noblesse ruinée, c'est pas mal, dans le genre clodo grand style. Aujourd'hui, John porte une chemise Ralph Laurent, son costume est signé Paul Smith et je n'ose même pas parler du prix de sa montre, passé un certain nombre de zéros, on quitte le domaine des chiffres pour entrer dans celui de l'art abstrait. Malheureusement, John ne sera reçu nulle part dans cette tenue, son lacet droit à mystérieusement disparu, sa montre cassée indique éternellement 10h34, et puis maintenant il y a ce fil bleu qui pend...
" John Rose " déclara-t-il sobrement en tendant la main vers Lassie. " Vous travaillez ici depuis longtemps? Je ne vous avais jamais vue.... "