Alex traine des pieds, piétinant les feuilles mortes sous ses semelles converse hors de prix, le nez rougit et les mains dans son jean. L’image pourrait être pleine de charme, pour des raisons diverses que jugerait certaines (il fallait avouer qu’Alex était quand même bien foutu) mais c’était sans compter la sale tête qu’il tirait. Vraiment, comment pourrait-on se réjouir de bientôt devoir ressembler à un clown avec un balai dans le cul, les poils au garde à vous à chaque bourrasque de vent ? Ca cassait le mythe, certes, mais on le vivait tous pareil, non ? Il n’y avait rien d’amusant à se couvrir de trois pulls et de deux paires de collant, sauf quand on participait aux pubs de petit bateau. Encore moins pour un homme, dont on exigeait la résistance face au froid et donc, interdiction d’un autre vêtement chaud qu’un manteau ou un pull (et un seul). L’admiration des étoiles dans un ciel hivernale était impossible à Paris et Alex n’avait jamais trouvé les doudounes sexys. Quelle idiote saison, celle qui obligeait les femmes à couvrir leur moindre parcelle de peau (un de ces jours, on inventera les cagoules spéciale hiver, avec plein de jolis motifs, c’est certain). Le jeune homme brun accéléra le pas, il commençait à croire que son nez allait tomber s’il n’entrait pas dans un bâtiment chauffé d’ici deux minutes. C’est dans ce genre de moment qu’on aimerait être anglais et pouvoir entrer au salon de thé du coin de la rue. Mais il ne fallait pas rêver, retour à cette chère et grisonnante capitale. Les parisiens semblaient encore plus antipathiques lorsque le froid venait, ce qui n’arrangeait pas les choses. Encore plus pressés, encore plus râleur et tous priaient pour qu’il n’y ait pas de grève de transport public en cette horrible saison. Il ne manquerait plus que ca, des foules de parisiens pressés et en colère sur les trottoirs ! Rien que d’y penser, il en frémissait –comme si le vent ne le faisait pas assez.

Enfin, il poussa la porte de son lycée, vivement éclairé par les lumières synthétiques. Les jours décroissaient continuellement et il faisait à présent noir le matin, même à 7h45. Il savait d’avance qu’il allait s’endormir sur sa table, tant pis pour le bac, il n’y pouvait rien s’il était en pleine croissance et s’il associait nuit à sommeil. De toute façon il s’en sortirait, Alex était quelqu’un qui, même s’il le cachait, était particulièrement intelligent. Mais le jeune homme regrettait vraiment l’excitation qu’il ressentait quand il était plus jeune, ravi en ces temps là, d’imaginer noël, la neige et la vapeur qui sortait de sa bouche, ces joies simples maintenant disparues. Puis, d’un pas presque nostalgique, il entra dans sa salle de classe, serra les mains et embrassa les joues de ses camarades de ses lèvres glacée et s’assit. La vitre était couverte d’une légère buée et Nathan, assis derrière lui, lui souffla :

- Bientôt l’hiver, hein ?

Alex posa son front contre son sac, négligemment posé sur la table et soupira.

- Malheureusement.

Puis il ferma les yeux.

Je ne me souviens plus de mon âge. Je ne me souviens même plus de mon visage. Je suis fatigué d’être, être éternellement, de savoir que la fin ne viendra jamais. Nous autres les saisons, nous sommes biens seuls. Tout le monde nous voit et pourtant nous ignore, et jamais nous ne nous rencontrons. Parfois, quand je sens un peu plus d’ardeur dans mes veines, je me décide à arriver plus tôt que prévu. J’essaye d’apercevoir Automne, ses longs cheveux roux, ses chaleureuses iris couleur pistache, et sa peau qui sent bon la papaye. Bien sûr, je n’ai jamais pu voir Automne. Quand une saison arrive, elle fait fuir l’autre. Tout ce que je sais, je l’ai appris dans les livres. J’ai aussi eu la chance de humer le parfum qui restait après son passage, de trouver, ci et là, des fils de cuivre perdus dans les branches des arbres ou sur le sol… Je n’ai jamais eu cette chance avec Printemps. J’ai lu quelque part que son chant était le plus beau qui existait au monde ; je n’aurais jamais la chance de l’entendre, tout comme je n’ai jamais pu apercevoir sa chevelure brun, sentir les effluves de cannelle de sa peau dorée, voir ses grands yeux, pépites de chocolat ornées de fragments de feuille d’or, brillants comme des étoiles inatteignables. Et l’été… Je ne sais pas comment ils font, tous, pour être heureux. J’ai vu dans les livres qu’ils souriaient tous. Je suis le seul avec ce regard délavé, fuyant, ces lèvres pâles scellées à jamais, cette peau blanc cassé. Je n’aime pas ma saison, le froid, la neige, la pluie. La vie est glaciale, les gens s’enferment chez eux, me maudissent, les animaux qui ont des ailes s’enfuient à mon approche, les animaux qui n’en n’ont pas se terrent dans des refuges jusqu’à mon départ. Je ne me souviens plus de mon visage. Je ne me souviens pas si terrifiant. Mais si je le suis, alors je voudrais autant disparaître, laisser tout ce monde avec Automne, Printemps, Eté, et leurs sourires. Et moi, je me fondrais dans la neige. Et là, si je pouvais seulement mourir dans cette flaque d’eau glacée et sale, sur ce trottoir dégueulasse, ce serait simplement un miracle.
« Hey, monsieur. Si vous restez pieds nus comme ça, vous allez avoir des engelures et on va vous amputer les orteils. »
Je suis le seul avec des pieds nus. Je regarde ses pieds à elle. Elle a des bottes rouges.
« J’vous ai vu en ouvrant mes volets, alors j’ai apporté des chaussures et des chaussettes. Ça devrait vous aller. Je crois… Si vous voulez, je connais un excellent salon de thé, ça vous dirait d’y aller pour vous réchauffer ? ».
Dans les livres, je me souvient d’avoir lu que mes cheveux étaient des fils d’argent, que mes iris rappelaient la pleine lune et que j’étais la saison des miracles.