A force de marcher de couloirs en couloirs, de portes en portes à la recherche désespérée de quelque chose à faire de sa vie de pauvre aveugle torturé, le sieur Ivanovitch avait finit par connaître tous les recoins de l'entreprise les plus importants à sa survie tels que la sortie de secours, les toilettes mais encore, lieu essentiel, l'emplacement exact de la machine à café et le bouton 'capuccino' qui s'y trouvait.
Alors forcement, lorsqu'arriva la troisième heure de la journée, Kolia décida de bouger ses grands muscles contractés pour se trainer jusqu'à la fameuse boite à boisson brûlante et de couleur suspecte - histoire de se donner un but dans la vie, au moins. C'est qu'il s'ennuyait ferme, ce cher Kolia. Avec son nom de pokémon et sa tête d'Halloween.
Et plus cet ennui grandissait, plus il ne pouvait tenir en place, quitte à se prendre murs et personnes, et quitte à se perdre à jamais dans les couloirs abyssaux de la Waldon.
Bref.
Il rentra bien évidement contre la machine dans un bruit sec, lâchant un grognement insatisfait alors qu'il mettait son amie la canne blanche dans son autre main pour tatonner jusqu'au bouton capuccino et aller triturer les pièces de ses poches, histoire de remercier la grosse boite pour sa drogue maronnasse, ou encore de perdre de l'argent parce que, justement cette vieille grosse boite refusait périodiquement de rendre la monnaie.
Il fit la moue, analysant pièce par pièce ce qu'il possédait.
Puis après examen, s'immobilisa.

'' Oh non. ''
... Et Kolia découvrit alors qui lui manquait cinq centimes.

Elle en avait marre.
Mesdames, messieurs, vous en êtes tous témoins, un boulot de secrétaire n'est pas un boulot solitaire. Il y a les coups de fil à réceptionner, les lettres à vérifier, l'agenda à organiser, les rendez-vous à placer, mais surtout, il y a une chose indispensable à un métier de secrétaire : il faut quelqu'un à, eh bien... à secréter. La personne dont on est la secrétaire, quoi. La personne dont on organise la vie professionnelle ( et désorganise de temps en temps la vie conjugale ), la personne pour qui on bosse, le grand patron, le mec important en costard de l'histoire. Hé bien, c'était justement ça qui manquait à Luo.
Bien sûr, au début, il était là. De temps en temps. Il passait, il jouait à la DS, faisait la sieste, fumait une clope, renversait deux ou trois stagiaires derrière l'armoire à documents, lui contait fleurette et se plongeait dans la lecture contemplative de romans - ou dieu savait ce que c'était. Et puis soudainement, il partait. Quelque part. Nulle part. Entre les deux. Et elle ne le voyait plus pendant le reste de la journée.
Mais c'était un monde!
Comment pouvait-elle faire son boulot, ou ce qui ressemblait à son boulot, si jamais la personne indispensable à celui-ci se cassait sans prévenir deux fois sur trois? L'instinct professionnel de Luo en était tout retourné. Un instinct professionnel qui semblait dur à trouver autre part dans l'entreprise, soit dit en passant. Elle, on lui donnait un boulot, elle le faisait, elle glandait pas en comptant ses cheveux affalée dans son fauteuil en cuir - mais je ne vise personne, bien sûr. Objectivement, elle était presque sûre que tout le boulot qu'elle pourrait fournir était relativement inutile, vu que seule Madame Felton savait réellement à quoi servait cette entreprise, si encore elle servait à quelque chose, et bien qu'elle ne soit pas fâchée de pouvoir dormir tout son soûl dans son bureau, elle aurait bien aimé avoir quelque chose de sérieux à raconter à ses parents à Noël ou à leur anniversaire, lors des visites traditionnelles. " Vous savez quoi, on a rêvé ensemble avec mon patron, il s'appelle John, il est très mignon, j'ai un faible pour lui, d'ailleurs c'est pour ça que j'ai rejoins l'entreprise en fait, parce que là-bas à part patauger dans des fontaines avec des espagnoles et explorer des sous-terrains bizarres, on fait pas grand chose! Mais oui, ma vie professionnelle est très épanouie! "
Raah.
Elle eut un énième soupir qui provoqua les froncements sourcils des occupants du box devant lequel elle passait, occupés à confectionner des avions en papier - ils s'y prenaient très bien, pour une fois que des employés faisaient quelque chose de constructif ici -, continua encore dans le couloir, ses ballerines vernies - vert pomme - faisaient un bruit sourd amorti par la moquette bleue - ou ce qui ressemblait à du bleu - et lassée de rajouter tout le temps des tirets dans la narration, s'arrêta enfin devant la machine à café.
Où un aveugle en tenue d'Halloween semblait déjà en pleine crise existentielle.
S'arrêtant devant la machine, elle lui jeta un regard perplexe en biais. Il examinait ses pièces. Visiblement, il les reconnaissait au toucher et à la taille. Il était vraiment grand, avec des drôles de cheveux - en même temps elle pouvait parler, question drôles de cheveux... - et des bandages autour des yeux. Encore quelqu'un qui semblait taillé pour les critères de la Waldon. Il dégageait une sorte de truc bizarre autour de lui. Pas désagréable remarquez.
Luo tordit la bouche dans un sens, dans l'autre, signe de grande réflexion, et appuya enfin sur la touche 'chocolat doux'. Elle aimait pas le café. C'était trop rude pour elle. Et tandis que le gobelet en plastique fumant se remplissait, elle se décida à faire sa BA de la journée, aussi un peu pour calmer ses nerfs d'avoir encore une fois perdu son patron.
" Je peux vous aider, monsieur? " tenta-t-elle en se tournant vers elle, lui faisant un petit sourire commercial sans s'être aperçue qu'il ne la verrait pas. " Vous êtes nouveau ici? "
Voilà, zen Luo, zen. Elle prit son gobelet de chocolat chaud et le porta à ses lèvres avant de crachoter - le liquide venait de lui brûler la langue.

Un petit espoir le prit lorsque les petits claquements sur le sol du couloir semblaient se rapprocher de lui mais il resta immobile, à recompter encore et encore ses petites pièces, à passer son grand doigt sur la face d'une d'elles, bien vérifier le un, la taille, bref, à cogiter dans son coin, affichant une sorte de moue entre la bouderie de gamin et l'extrême concentration de l'athlète.
Puis... Non.
En fait, on ne l'aida pas.
Il lâcha un léger soupir ennuyé lorsqu'un petit 'bip' discret s'échappa de la machine, suivi du bruit infâme d'une boisson versée dans un gobelet en plastique, sentant vaguement la présence de quelqu'un à sa droite.
Et d'ailleurs sûrement quelqu'un de surement peu charitable ou binoclard, n'ayant peut-être pas remarqué les bandages sur ses yeux et la canne blanche dans sa main gauche, mais ses espoirs réapparurent pour décontracter de nouveau ses épaules quand une voix féminine et sonnant comme une cloche le jour de Pâques lui vint en aide.
Il tenta de tourner son visage vers la provenance de la voix, léger sourire poli sur le coin des lèvres.
'' Oui. Enfin. Je suis ici depuis un mois ou deux, je ne sais plus exactement. "
Et continua en hésitant un instant.
'' Auriez vous de la monnaie à me dépanner? Enfin, pas grand chose, l'idéal serait une pièce de cinq centimes. Ou alors m'informer du prix des autres boissons, et de l'endroit où se trouvent leurs boutons. ''

Luo le fixa un instant d'un regard vide un peu ennuyé, et finit enfin par tâter les poches de son jean, en quête d'une pièce pour ce pauvre aveugle qui faisait l'aumône. Elle fit la moue, l'air ennuyée.
" Un instant, je vais voir si j'ai ça... " fit-elle pour le faire patienter.
Elle glissa les mains jusqu'au fond des poches de son jean serré, n'y trouva que quelques grains de poussière et un bonbon à la violette, chercha sans grand espoir dans les poches arrières de son pantalon, puis dans celle de son gilet, d'où elle extirpa un porte-monnaie en forme de coccinelle, vous savez, comme on en trouve parfois dans les papèteries. Elle l'ouvrit mais il n'y avait que quelques perles colorées au fond de celui-ci, et un bracelet en or au fermoir cassé. Elle avait utilisé ses dernières pièces pour le chocolat chaud à un euro cinquante, et elle avait beau chercher, elle ne voyait pas où elle aurait pu cacher une pièce de cinq centimes.
Elle resta un instant silencieuse devant son porte-monnaie entrouvert, fixa le chocolat chaud qu'elle avait reposé sur le rebord de la machine à café, puis le visage inexpressif de son collège. Difficile d'être expressif quand on est aveugle en même temps. Les yeux, miroir de l'âme qu'on dit, et quand on avait pas accès à ceux-ci, ça devenait difficile de deviner ce que pouvait penser une personne.
Elle referma le porte-monnaie dans un petit claquement sec.
" Je suis désolée. Je crois que j'ai pris mes derniers euros pour ma boisson " fit-elle d'un air désolé en grimaçant à l'aveugle. Mimiques inutiles, elle le savait, mais qu'elle ne pouvait pas empêcher. Question d'habitude.
Elle écarta les bras, signe qu'elle ne pouvait rien y faire, puis regarda son chocolat.
" ... mais si vous voulez, je peux vous donner un peu de mon chocolat? "
Elle fronça les sourcils.
" Quoique vous avez pas trop une tête à boire du chocolat. 'fin bon. "

Kolia eut une sorte de rire, comme pour marquer le coup, souriant un peu, les pièces toujours entre son poing.
Il tenta tranquillement alors qu'elle parlait d'analyser un peu la voix. Une femme, déjà; ça il pouvait se l'en assurer, mais de quel age, il hésitait encore. La voix était claire, ni roquailleuse ni séche -agréable même et n'avait pas encore totalement le ton grave des femmes mures ni l'assurance des vrais adultes. Mais, de l'assurance, il y en avait. L'assurance de la jeunesse. Subtile différence d'experience et d'ages.
De plus, les bruits de ballerines sur le sol -et non pas de talons, les cliquetis dans un présumé porte-monnaie, les sons distinctifs mais extrement légers qui pouvaient laisser deviner des moues, des gestes, des expressions, le confortérent dans son idée. C'était à une jeune fille à qui il avait à faire. Déjà ça de gagner.
Mais elle avait assez d'assurance et ses questions et paroles détachées et libres laisser croire qu'elle n'était une simple jeune employée de quelques mois d'expérience.
Donc, conclusion une jeune fille déjà expérimentée.
Applaudissons tous en coeur le sieur Ivaovitch.

Il remit sa canne dans sa main droite, s'appuyant un peu dessus.
'' Ce n'est parce que j'ai l'air d'un épouvantail de film d'horreur que je n'aime pas le chocolat chaud. '' plaisanta t-il tranquillement avant de reprendre. '' Mais je ne compte pas vous déranger trop longtemps, juste, dites moi, pouvez vous me lire le prix d'un simple café? Il me semble que le cappuccino est plus cher, donc... ''

" Vous ne me dérangez pas " assura Luo d'un ton plaisant. " Et puis c'est normal de se tenir compagnie entre collègues. " lança-t-elle comme ça. " Mon patron a fugué, alors je viens chercher un peu de réconfort près de la machine à café "
Et bim.
Sur ces étranges paroles, elle se pencha devant la machine à café. C'était bizarre cet engouement pour le café quand même. C'était pas bon, ça sentait mauvais et ça empêchait de dormir - horreur suprême pour Luo. Elle, elle était plutôt tisane, logique. Avec un peu de miel et des chamallows avant de dormir. Avec un léger soupir de bonheur à l'évocation mentale de ce festin qu'elle se ferait ce soir puisqu'on en parlait, tiens, elle suivit du regard les tarifs des cafés. Le café simple, c'était juste quatre-vingt-dix centimes. Bon, d'accord, si on mettait de côté le très mauvais goût, ça faisait un profit de soixante centimes par rapport au chocolat chaud.
Mais c'était plus petit, s'objecta-t-elle mentalement.
" Le café simple est à quatre-vingt-dix centimes " lut-elle en se relevant vers lui.
Elle réfléchit un instant puis, touillant son chocolat avec le petit machin en plastique, elle tira la langue et lapa un petit bout de crème qu'elle avala. Bon, ça valait pas un bon chocolat home made, mais il était pas mauvais celui-là. Et puis ça l'aidait à surmonter l'absence de John. Elle releva le nez sur Monsieur Bandages. Ca, ça avait l'air d'être un mec sérieux. Pas le style à laisser sa secrétaire seule aux prises avec le vrai monde, quoi. Bon, il était aveugle et elle doutait que son emploi du temps ait vraiment besoin d'organisatrice personnelle, mais bosser pour lui, ça aurait été sympa.
Elle fronça les sourcils. Mouais. 'fin physiquement elle préférait les blonds, çui-là était pas mal mais il tenait pas la comparaison avec John.
Se décidant que malgré ses capillaires elle pouvait bien lui faire la conversation, Luo s'adossa sur le mur à côté de la machine à café, plantant ses ballerines vert pomme dans le sol moelleux - ce qui était peut-être le seul bon côté de cette moquette - et but une toute petite gorgée de son chocolat.
" Vous voulez que je prenne votre café? " proposa-t-elle. " Ça doit pas être super pratique ces bandages " fit-elle d'un ton compatissant, sortant une évidence un peu sans s'en rendre compte. " D'ailleurs c'est quoi cet engouement pour le café? C'est pas bon, le café. A la rigueur je comprends que ça aide à travailler mais ici personne travaille alors... " Elle fixa le fond du couloir d'un air profond. "... pourquoi le café? "

" Je n'aime pas le café. " avoua t-il en haussant les épaules, alors qu'il passait sa main sur la face de la machine, cherchant la fissure pour y mettre ses quelques pièces qu'il tentait d'additionner au toucher- surtout histoire de perdre un minimum de monnaie.
" Mais c'est ce qu'il y a de moins cher et il me faut quelque chose de chaud et qui me réveille. ''
Et d'ailleurs, oui, se réveiller pour faire quoi? Pour se prendre des murs et errer sans but dans les innombrables couloirs de cette fichue entreprise? Lol. Il rentra une par une ses précieuses pièces, semblant réfléchir à ce qu'il pourrait faire après sa pose café, alors qu'un petit 'bip' provenant bien évidement de la machine accompagner sa réflexion.
'' Je n'ai plus de globes oculaires, comme ce n'est pas beau à voir, je me met des bandages. Mais effectivement ce n'est pas pratique alors j'accepte que vous m'aidiez à commander mon café, merci bien. ''
Il retourna un peu la tête vers elle, comme pour que cela soit une réelle conversation plutôt qu'un dialogue avec un mur.
" Vous travaillez vous? Au début je croyais que l'on ne me donnait rien à faire à cause de mon handicap mais en discutant avec des collègues, je me suis rendu compte que personne ne fichait rien. Je m'ennuie tellement que je ferais n'importe quoi pour avoir un truc à faire.''
Et ce n'était pas complètement faux. Déjà qu'il n'avait rien à regarder, autant qu'il ait une occupation pour ses mains.


edit John : tes lignes ma mie = 3

Luo avala une petite gorgée de son chocolat crémeux, qui n'était pas du grand art mais suffisamment bon pour lui plaire. Elle soupçonnait la Waldon de fournir elle-même les boissons disponibles dans les distributeurs pour pouvoir de temps en temps y ajouter des substances illicites - allez savoir pourquoi, peut-être que ça amusait la patronne - mais toujours était-il que le chocolat doux était juste ce qui lui fallait. Bon, on ne pouvait plus rien pour le café, c'était une boisson désespérée, mais le chocolat... Elle fit claquer sa langue contre son palais d'un air satisfait, dans les brumes de la chaleur du chocolat. Ah, si John avait pu être aussi doux que la crème dans son gobelet, alors il aurait été tellement agréable de...
Le son d'une voix masculine la tira de sa rêverie. Allons bon. Elle releva le nez en fronçant les sourcils vers Monsieur Bandages qui n'avait toujours pas d'autre nom et qui continuait leur discussion, entrant maladroitement ses pièces dans la machine en lui racontant qu'il n'avait plus de globes oculaires.
Euh.
Hein?
Réfrénant son envie de demander innocemment 'qu'est-ce que vous en avez fait?' et tentant de garder un air pas trop perplexe - genre c'est normal de plus avoir de globes oculaires quoi -, elle s'approcha de la machine à café et lorsque l'homme eut fini de rentrer laborieusement les petites pièces rouges dans l'appareil, elle appuya sur le bouton du simple café. Le gobelet tomba dans un petit bruit - ce poc délicat qu'elle avait toujours trouvé adorable - et un vague liquide maronnasse commença d'y couler. Beurk. Elle aurait du lui commander une tisane.
Lorsque Monsieur Bandages lui posa la question fatidique, elle eut un vague geste de la main. Bon bien sûr il ne pouvait pas le voir, mais c'était dans l'idée.
" Si vous cherchez quelque chose à faire, vous pouvez peut-être... Repeindre les toilettes ou fabriquer un bâteau? 'fin c'est pas super facile sans globes oculaires non? " Tentant de rendre son usage du terme 'globe oculaire' naturel, elle passa vite à la suite. " Enfin, ne vous attendez pas trop à reçevoir d'ordres précis ici. Vous avez dû le remarquer et je suis pas sensée vous le dire, mais... " Elle laissa un blanc. " s'passe des trucs bizarres dans le coin. Rien d'affolant mais... " Elle avala une gorgée de café. " Moi je suis sensée être la secrétaire d'un sale blond coureur de jupons mais il arrête pas de fuguer et j'en ai marre de lui courir après. De toute façon même quand il est là il fiche rien "
Elle rumina un peu, fit la moue, prit une autre gorgée, puis se dit qu'elle n'allait pas embêter Monsieur Bandages avec ça et prit le gobelet de café qui venait de finir son remplissage, le mettant dans la main de son interlocuteur.
" C'est quoi votre nom, d'ailleurs? " fit-elle enfin avec un petit sourire penaud qui s'excusait de monopoliser un peu la conversation.

Kolia Ivanovitch Gabrilov, mais ne nous embetons pas avec ce nom à rallonge, appellez moi Kolia... Et vous? " répondit-il en la remerciant pour le café d'un mouvement de tête, en prenant une légère gorgée.
Il grimaça.
Un jus de chaussettes brulant aurait été meilleur, mais bon, ça avait le mérite de rêveiller quelques neurones abrutis par la non-activité totale de l'aveugle, qui de toute façon assuma son acte de masochisme en évitant de trop faire paraitre son mal-être (euh...?) face au suplice qu'il imposait à ses papilles gustatives et reprit presque tranquillement la conversation.
" Enfin, vous au moins, vous avez quelque chose à faire, même si ce n'est que courir après un Don Juan... Puis secrétaire, ça veut dire paperasse à signer et café à servir, et même si ce n'est pas très reluisant, je vous envie. ''
Et oui, il enviait. Rien à faire pour un type modéle dans le style gendre parfait qui parlera économie à sa future belle-mère lorsqu'elle écrasera sous son couteau rouillé sa bisque de homard, c'est terrible.
Mais bon, il se dit que le jour où quelqu'un voudra bien de sa figure de citrouille, il portera une robe à fleurs pendant une semaine, et le sieur Ivanovitch oublia l'idée d'une discussion avec ses futurs beaux-parents. M'enfin. Même si elle était lesbienne, sa colocataire (et d'ailleurs celle qui lui avait lu l'offre d'emploie de la waldon et qui l'avait aidé pour l'entretien d'embauche laborieux, merci baybay) pouvait le supporter et l'aimait même assez pour le trimballer dans Londres à ses côtés, ce qui était un bon début.
Mais c'est une autre histoire.
Et puis il y avait eu l'autre aussi.
Ce qui est encore une autre histoire.

Ca c'était du nom à rallonge. Dire qu'elle s'était toujours plainte du fait que son prénom soit long, Kolia Ivanovitch Gabrilov, merci. Ca avait du être drôle à écrire sur les étiquettes de ses livres quand il était gamin, tiens. Remarque, un type comme ça, on avait du mal à l'imaginer gamin... Quand il était né, est-ce qu'il avait des globes oculaires? Perturbée par cette soudaine question, Luo fronça les sourcils et en oublia presque de répondre à celle que lui posait Kolia. Elle lapa une petite gorgée de chocolat et se brûla la langue, et répondit.
" Luo Lewis. Ca fait un peu nom de strip-teaseuse comme ça, mais j'aime bien. Vous pouvez m'appeler Luo, je suis techniquement votre supérieure mais on s'en fout un peu de la hiérarchie ici... "
Elle haussa les épaules et examina sous les vapeurs du chocolat son bel interlocuteur. Il se tenait droit, raide, presque coincé, et sa bouche avait un perpétuel léger pli d'écoeurement - ou peut-être était-ce juste le goût du café. Il avait les cheveux sombres un peu en bataille mais bien coupés - allez vous coiffer uqand vous être aveugle! - un teint qui respirait la santé bien que juste un peu pâle, et ses yeux, et bien, ses yeux, bonne chance pour les voir. Il était grand aussi, peut-être deux têtes de plus que Luo ( qui n'était pas très grande en même temps mais quand même ) avec de longs bras, de longues jambes et de longues mains. En fait, il lui faisait vaguement penser à un de ces clowns tristes qu'on voit dans les spectacles de cirque, une sorte de Pierrot lunaire. Elle fit la moue.
" Moui. Pour avoir des papiers à faire signer et un café à servir, il faudrait déjà quelqu'un qui soit là pour signer les papiers et boire le café. Mais passons. "
Elle eut un bref soupir.
" Qu'est-ce que vous êtes venu faire à la Waldon, d'ailleurs, Kolia? "

" J'avais besoin d'un travail rapidement. Mon père ne me verse pas trop d'argent sur mon compte et c'est ma colocataire qui paye tout, mais je suis un grand garçon, je pense qu'il est tant que je me débrouille seul. '' Il eut un sourire à cette phrase là. Un grand garçon.
Un peu trop d'ailleurs.
Puis évidement il lui était impossible de se débrouiller seul. Alors pour l'instant, il voulait au moins se contenter d'aider la demoiselle et gagner son pain.
Il but encore quelques gorgées de sa boisson et tritura sa canne, pensif.
" Le seul problème c'est que maintenant je suis coincé ici, c'est ça? C'est ce que dise les collègues. Enfin, on me paie, c'est déjà bien. "
Il finit son gobelet, tâtonna de sa main dans le vide une chose imaginaire, trouva la poubelle et y jeta le verre de plastique qui tomba dans un petit poc sur d'autres gobelets. Si ça faisait poc, c'était bon. Si c'était pam, c'est qu'il était tombé par terre.
Question d'habitude.
Et d'ouie.
" Et vous? Qu'avez vous de si 'étrange' pour répondre à l'annonce de la Waldon? " demanda t-il en souriant à moitié à Luo.
C'est vrai quoi, c'était une des choses qui l'avait frappé dans l'annonce, cette histoire de chercher des gens bizzares pour les enfermer dans une entreprise sans rien à faire,- il y avait de quoi cogiter sévère et c'est ce que devait faire la plupart des employés non dénués d'esprit critique dans leurs bureaux pourris: cette affaire là était plus qu'étrange.
M'enfin.
Au fond, ça lui allait.

Qu'est-ce qu'elle avait d'étrange?
Elle prit une gorgée de son chocolat.
Elle n'aimait pas parler au gens de son don. Elle aimait les voir endormis, rentrer dans leurs rêves comme une voleuse, les regarder rêver, les rencontrer, les connaître, puis se réveiller et leur dire bonjour distraitement en passant à côté d'eux dans les boxes. Lorsqu'elle disait son don aux gens, ils se sentaient parfois un peu menacés. C'est personnel, les rêves. On ne s'en souvient presque jamais, mais c'est là que s'exprime notre subconscient. Une partie trop profonde de nous. C'était personnel, oui. Et elle elle voyait tout ça, elle analysait, elle disséquait, elle réfléchissait, et puis elle allait de nouveau à la fête foraine.
Aussi elle attendit un peu lorsque Kolia lui posa la question. Réfléchit. Faire un joli mensonge, dissimuler un peu la réalité. C'était un atout dans la manche, ce don.
Elle regarda Kolia, son air de gentil garçon, son visage fermé de mec honnête, un sourire imaginaire qu'elle supposait rare posé par elle sur ses lèvres. Oui, il l'inspirait bien. Il dégageait cette aura de... calme. De sûreté. De confiance, peut-être. C'était quelque chose qu'on sentait rarement dans les rêves, ça.
" C'est une histoire de rêve, en fait " fit-elle en haussant les épaules, tentant de rendre la chose anodine. " Disons que... Vous nêtes pas sans savoir que la plupart des gens ici sont sérieusement bizarres. Même d'une manière un peu... Etonnante, dirons-nous "
Elle remua son chocolat avec le batonnet.
" On va dire que d'une manière ou d'une autre je peux voir les rêves des gens. Vous n'avez pas idée de ce dont les gens rêvent. Enfin bref, vous voyez Monsieur Rose? Le directeur adjoint. J'ai vu un de ses rêves et je l'ai bien aimé, quand il s'est réveillé il m'a proposé un poste de secrétaire, alors j'ai accepté " fit-elle d'un ton penaud. " Pareil, c'est très bien payé alors... Et puis je crois que Mrs. Felton m'aime bien "

Il fronça les sourcils. Eut comme une envie de pisser l'envie profonde de pouvoir voir son visage, juste pour vérifier si elle ne se fichait pas de lui. Mais il accepta de lui faire confiance, peut-être qu'elle voulait juste parler d'un quelconque don de voyance, ou d'un sixième sens, bref, ce genre de choses qu'aiment bien croire certaines personnes.
Ce qui était étrange c'est que ça n'avait pas l'air d'être son genre, ce genre de manies bizarres, à cette Luo -en tout cas à première vue.
Kolia resta perplexe et un instant silencieux.
'' Vous pouvez voir les rêves des gens?... ''
Il se sentait stupide de douter. Et encore fallait il savoir s'il se sentait stupide de croire à ce don ou d'au contraire ne pas y croire. Telle est la question.
Il se fit quelques neuds avec la tête, préféra un instant réfléchir à ce fameux Mr Rose, ne trouva rien de très intéressant, pensa qu'il avait faim et réfléchit alors à la raison pour laquelle Luo était venue à la Waldon.
Le beguin pour ce blond, donc? Bien évidement je rappelle que Kolia ne connait pas la couleur de cheveux de notre sex-symbol e mascotte mais je trouvais que ça sonnait bien dans la narration.
No coment, je sais.
Se disant un instant que c'était beau l'énergie de la fougueuse jeunesse, il revient dans le moment présent.
'' Mais.. Comment? ''

Vu son visage, on aurait pas su dire s'il la croyait ou non. Sans doute se posait-il la question lui-même. Pour un pauvre nouvel arrivant à la Waldon, qui n'avait sans doute jamais touché à l'univers des trucs bizarres qui se passaient à la Waldon, effectivement, une fille qui lit les rêves, ça devait être bizarre. Ca devait ressembler à ces ensiegnes que l'on trouve dans les fêtes foraines avec leurs slogans stupides. Peut-être qu'il se disait qu'elle était juste très portée en astrologie ou qu'il lui manquait une case. Ce qui n'était peut-être pas faux, mais dans tous les cas, il allait lui falloir une explication.
" Hé bien, vous voyez... " commença-t-elle.
Elle s'arrêta. Voir quoi? Il fallait qu'elle trouve une manière particulière de le raconter qui ne la ferait pas passer pour une vieille - d'accord, une jeune - folle. Monsieur Bandages avait l'air d'un Monsieur sérieux.
Elle adopta donc une posture sérieuse, se redressant et finissant la dernière gorgée de son chocolat pour la route. Tout en allant l'amener à la poubelle, elle commença son explication.
" ... Vous avez l'air de quelqu'un de sérieux mais je vous raconte pas des histoires de Madame Irma, vous pouvez me croire. Si vous voulez, je ne sais pas comment ça se fait, mais mes rêves sont lucides. Je m'en souviens de manière aussi précise que la vie réelle et généralement, je peux rêver à peu près de ce que je veux "
Elle haussa les épaules.
" C'est comme ça depuis que je suis petite. Je sais pas pourquoi. Quoi qu'il en soit, je peux... "
Elle réfléchit un instant à la formulation exacte.
" Rentrer dans les rêves. En tant que personne lucide. C'est à dire que je peux voir et interragir avec leur rêves... Ca doit être un peu abstrait comme ça, désolée " s'excusa-t-elle en souriant. " Mais c'est comme ça que ça marche. "

" Je vois. "
Kolia s'était apparement déjà familiariser à l'humour anglais, comme vous pouvez le constater.

Il appuya sa main droite sur sa stupide canne, fit la moue. Puis quelque chose le heurta. Quelqu'un de sérieux? Pouvait il vraiment avoir l'air de 'quelqu'un de sérieux' lorsque les gamins qu'il croise dans la rue, se retourne sur son passage, tire la manche de la nouvelle veste de chez Agnes B de leur môman pour leur demander avec rêverie 'pourquoi le monsieur joue a colinmaillard tout seeeuuul?' - ce qui, vous pouvez me croire, avait le don de le déstabiliser forcement.
Il sembla en plein trouble mental. Ok, il mettait des cravates, il n'était parfois pas trop trop souriant, un peu coincé, en plus il faisait méchant de film d'horreur. Mais jusqu'à qu'il passe vraiment pour un type sérieux quoi....
Bah, il n'allait pas s'en plaindre.
Il souffla un peu.
" Je crois que je comprends. Mais... Ca va peut être vous semblez tordu, mais est ce que le rêveur peut voir que vous êtes vraiment extérieur à son rêve? Et vous pouvez simplement allez dans les rêves de quelqu'un comme ça, sans rien faire? " il sembla réfléchir. " C'est la première fois que j'entends parler d'une chose comme ça. ''
Puis eut un rire.
'' ... Il faudra que vous veniez corriger mes rêves, un jour, je ne me souviens plus vraiment de comment est le monde, ça fait longtemps que je ne l'ai pas rêvu. Pour moi les rêves sont un véritable miracle. Quand je rêve, je vois. ''
Il s'arrêta, arrêta son rire, laissant juste un cadavre de sourire sur ses lèvres. Là, il avait plus l'air d'un gamin qu'autre chose.

Une bouffée de tendresse vint à Luo pour Monsieur Bandages et elle faillit s'approcher de lui pour le serrer dans ses bras, mais entre gens biens nés ça ne se fait pas, et bien qu'ils ne le soient pas particulièrement tous les deux elle resta à sa place. Elle le regarda juste quelques instants, un pauvre sourire aux lèvres. C'était son expression. Son sourire fané. Comme un gamin à qui on a autrefois enlevé son cadeau de Noël. De l'amertume, du ressentiment un peu de nostalgie, mais ne surtout pas s'apitoyer sur son sort, voilà ce qu'il lui disait. Luo aimait les gens, quels qu'ils soient, les connaître, elle s'attachait, s'attendrissait, voulait apprendre à connaître, et cet homme avec son sourire venait de passer du statut de collègue à celui de futur ami - s'il le voulait bien, du moins.
Alors elle s'approcha un peu, s'arrêta, se dit que si elle lui souriait il ne verrait rien alors elle eut un petit rire qui faisait écho au sien.
" Je ne peux pas corriger vos rêves " fit-elle en souriant. " Je rentre dans les rêves en tant que visiteur. J'explore votre subconscient, en somme "
Elle fouilla dans les poches de sa veste en fronçant les sourcils, les palpa, palpa également celles de son jean. Elle fit un tour sur elle-même comme si elle pouvait voir derrière elle de cette manière, et parvint enfin à extraire une boite de Mikado d'une poche intérieure de sa veste. Elle l'ouvrit et en tira un batonnet chocolaté qu'elle croqua avec bonheur - rien de tel que le chocolat pour vous remettre sur pied après vous etre fait traumatiser par votre patron. Enfin, pour être tout à fait honnête, elle ne pensait plus vraiment à John, tout de suite.
Elle mâcha un instant.
" C'est par contact. Si je touche une personne endormie, je peux rentrer dans son rêve en m'endormant à mon tour. Ca ne marche pas toujours, on a des cycles de sommeil " sourit-elle.
Elle enfourna le reste du mikado, mâchonna, puis fit en tendant la boîte bien que le geste soit inutile :
" Vous en voulez? C'est des mikados. Des batonnets enrobés de chocolat " Elle déglutit. " La prochaine fois que vous dormez, faites-moi signe, on pourrait se faire des petites vacances ensemble et j'vous dirai ce qui cloche dans vos rêves "

Vacances?
Le mot était bien choisis, quoi que si en y réfléchissant bien il serait difficile pour Kolia d'aller chercher Luo pile quand il rêve, surtout qu'il était plutot rare qu'il s'endorme au bureau.
Et les autres possibilités pour arranger un rendez vous de subconscients seraient quelque peu incongru, surtout si Miss Lewis en pincait pour le John et si Kolia à un lit simple et pas de matelas à preter.
Passons. Nous allons faire rougir l'aveugle et il viendra nous tuer de honte et de colère une nuit de pleine lune avec une pince à épiler et un fil dentaire. Si, si, je vous jure.

Kolia ne rougit donc point et ne nous tua point non plus, loin d'imaginer une telle chose dans son esprit innocent de petit traumatisé, et se contenta de sourire comme un gamin aux paroles de Luo. Avoir un invité dans un rêve, il y avait de quoi -haha- rêver! Et comme c'était une chose qu'il aimait faire, il n'était pas prets de refuser de telles vacances, quitte à se sentir stupide de s'etre fais prendre endormis par une collégue -oups, pardon, une collégue futur-amie ou à ne pas se souvenir du rêve en question.
" Je serais enchanté de vous accueillir, nous n'aurions qu'a boire un verre en corrigeant un peu à quoi ressemble mon pseudo-monde-réel, je sortirais un vieux cru. '' s'amusa t-il tranquillement. ''Quoi que si vous êtes plus chocolat... Merci, d'ailleurs, je ne refuse jamais un mikado. '' (quitte à avoir l'air bête)

Luo eut à son tour un sourire de gamine. Il était rare qu'on l'invite clairement dans un rêve. La plupart du temps, elle s'y invitait toute seule et on sait que ce qui est rare est précieux, alors elle allait s'incruster dans le subconscient de Monsieur Bandages avec plaisir. Et peut-être même qu'elle pourrait voir sous ces bandages qui lui mangeaient la moitié du visage. Bon, il n'avait plus de globes oculaires physiquement, et probablement n'était-ce pas du à une chute dans l'escalier, tout aussi probablement ce devait donc être plutôt moche à voir, mais s'il voyait dans son rêve peut-être avait-il encore des yeux, qui sait?
Se mordant la lèvre, elle résista à l'envie de poser la question et eut un petit rire.
" Qui refuserait un mikado? "
Elle en sortit un de la boîte et, incertaine, le mit entre ses doigts.
" Goût chocolat au lait. C'est encore meilleur " affirma-t-elle très sérieusement. " Vous buyez du vin, Kolia? "
Notons qu'elle avait résisté à la tentation de l'appeler Koko ( il était russe, en plus ) et que le mot Kolia sonnait bizarre dans sa bouche. C'était un peu un nom de fille, non? Les trucs qui se finissent en -ia, généralement, c'est des noms de filles ou d'elfes.
'fin bon.
C'était cette histoire de grand cru. Ca devait vraiment pas être pratique de choisir du vin en étant aveugle. Bon, si on allait par là, rien n'était vraiment pratique quand on était aveugle, mais c'était la première chose à laquelle elle avait pensé. Elle voyait plus Koko en train de siroter un grand vin dans un manoir en Transylvanie que croquant dans un mikado près d'une machine à café mais ça elle n'allait pas le lui dire.
Grignotant son mikado, elle attaqua le vif du sujet.
" Alors, Kolia, quand est-ce qu'on pourrait dormir ensemble? "
Heu.
Elle fronça les sourcils. Hum. Bizarrement dans sa tête ça sonnait pas comme ça.
" Heu... Enfin on se comprend "

Ausssi étrange que cela puisse paraitre, Kolia rit. D'un vrai rire qui sort du fond de la gorge, quoi qu'un peu discret tout de même, un peu court aussi, un rire parce qu'on ne sent pas qu'à ce moment là il faut rire pour faire plaisir à la personne ayant sortit une touche d'humour ou un trait d'esprit mais que, tout simplement, on a envie de rire. Fou, hein?...
N'empêche que oui, c'était plutot dingue, Kolia qui rigole. Le café surement. Ou alors tout simplement parce que la vie c'est drôle, et il venait de s'en rendre compte. Ou autre chose. Sacré Kolia.
Il rit, donc, quelques courts instants, essayant de récurer cette couche de politesse dans son caractère, d'être peut être plus amical.
Effectivement, la proposition méritait un doute, ou même un blanc perplexe en attendant de voir si on etait pas le seul à avoir remarquer le petit truc qui cloche dans la phrase. Mais bon. En même temps, si il était question d'une demoiselle pouvant s'incruster dans les rêves, il était normal que sortent quelques phrases étranges venant de nul part.

" Oui, on se comprends. '' fit-il, amusé, croquant dans le mikado. '' Je bois du vin lors des occasions mais je préfére les boissons non alcoolisées, de toute manière. ''
Il marqua un temps, réfléchit.
'' Hm... J'imagine qu'un rendez vous sommeil est possible, même dans cette entreprise vu qu'on ne travaille presque pas mais je crains que l'utilisation d'un quelconque médicament pour s'endormir serait requise. ''

Luo hocha la tête d'un air profond en grignotant son mikado, comme un lapin qui mange une carotte, tout doucement, par tout petits bouts qui s'effritent, mâcha, avala et approuva enfin la phrase de son nouveau camarade :
" J'ai tout ce qu'il faut dans mon bureau. J'ai... "
Elle réfléchit un instant. Comment faire pour ne pas rendre la chose trop bizarre? D'accord dans cette entreprise tout était bizarre gnagnagna,ce qui n'empêchait pas les gens d'avoir parfois des réactions désespérément normales, comme s'eclipser discrètement en faisant 'on s'appelle' lorsque le sujet sortait trop de la norme pour eux, pauvres mortels qui ne s'étaient pas encore résignés à accepter les machins bizarres qui peuplaient ce monde. Enfin. Koko elle le sentait bien. Si elle avait eu une coupe affro et la peau noire, elle aurait sans doute dit d'un air pénétré qu'il avait les vibes, mon frère. Ce qui, en fait, ne veut pas dire grand chose mais véhicule une idée compréhensible, c'est déjà ça. Quoi qu'il en soit, elle avait pour politique de faire confiance à son instinct intimement persuadé que Kolia ne fuirait pas en courant ( en plus dans son cas il se prendrait probablement un mur ) et continua la phrase commencée quelques secondes plus tôt.
" J'aime bien dormir. Enfin... Disons que... " Elle réfléchit à une comparaison correcte. " Vous voyez mes rêves sont conscients et sont très souvents bien plus intéressants que le fait d'accrocher des dossiers avec des agraffeuses alors il m'arrive assez souvent, enfin, de prendre des somnifères, quoi. " Elle afficha une mine piteuse. " Ce n'est pas très professionnel mais je ne le fait que quand Rose... Enfin, quand mon patron n'est pas là. Ce qui veut dire assez souvent en fait. "
Elle haussa les épaules.
" De toute façon, on sait tout les deux ce qu'il en est de cette enteprise, quoi qu'il en soit j'ai tout ce qu'il faut comme somnifères, ne vous en faites pas. " Elle trittura le lobe de son oreille, le fermoir du clou doré qui y était planté. " Quant à l'endroit... On pourrait tout simplement aller en salle de repos ou... "
Elle s'arrêta subitement.
Sembla penser à quelque chose.
Puis plongea pensivement la main dans le paquet de mikado et en sortit un autre, comme s'ils pouvaient l'aider à réfléchir, et eut un infime sourire.
" ... Vous avez entendu parler du salon de thé? "

A vrai dire, on aurait pu avouer qu'après être tombé ici, dans une entreprise de glandeurs aux allures de maison d'aliénés mentaux, face à une jeune fille qui aime pas le café et peut squatter vos rêves à son bon vouloir, Kolia ne s'étonnait même plus de la savoir en possession de somnifères au bureau malgré le fait qu'il se permit d'hausser tout de même un sourcil au sujet du salon de thé.
N'oublions pas, Ivanovitch, c'est un travailleur, un type sérieux et attentif au moindre ordre qu'on pourrait lui donner et parfois ça le bouleverse un peu de se lever chaque matin pour ne rien faire, et d'être payé pour ça. Alors si en plus, vous lui sortez qu'il y a un salon de thé dans l'entreprise.... Oui, c'est la fin de tout.
Enfin, il ne se permit aucune reflexion à ce sujet, se contenta d'haucher la tête avec une moue pensive, parce qu'il fallait bien communiquer d'une manière ou d'une autre.
" Non, je n'en ai jamais entendu parler. " confirma t-il à voix haute, grignotant le mikado qu'on lui avait si gentillement offert (merci, ô camarade pour ce présent! ) " Mais ça peut-être intéressant. Il faudrait juste que je sache ou il se trouve."
Oui, bon, c'était pratique quoi. Il ne se voyait vraiment pas débarquer devant un gars, lui sortir 'hey, mec, tu saurais pas où il est le salon de thé? ' , surement en souvenir de ce bon vieux Sting et de son englishman in NewYork - et à cette pensée complètement inutile, avant vous dire que Kolia s'empêcha de fredonner, malgré le peu d'intérêt qu'il portait à ce chanteur. Bref, il lui fallait l'itinéraire. Lui qui ne connaissait pour l'instant que son bureau, les toilettes, la machine à café et la salle de repos, voilà qu'il allait connaître le salon de thé. Il faudrait fêter ça. Sa colocataire s'en fairait un plaisir, sur.
ll songea un instant à sa rousse d'amie et à cette chère Luo face à face, préféra ne pas faire subir ça à la demoiselle même dans ses pensées. S'abstint. Sur, sa colloc' la draguerait. On ne peut refuser sa nature éternellement.

Luo fit un vague geste de la main, écartant rapidement la remarque comme si elle était vraiment loin d'être importante, et finissant d'avaler son mikado, déglutit et lança :
" Oh, ne vous en faites pas pour ça. Il est quelque part au deuxième étage, je ne sais même pas exactement où, mais quand on a envie d'y aller, on le trouve toujours, c'est comme ça que ça marche, alors vous en faites pas. "
Hem.
Oui, ça marchait comme ça. C'était bien triste à dire - ou totalement flippant au choix - mais de ce qu'en avait vu Luo, la Waldon semblait être un immense machin qui s'adaptait selon l'endroit où voulait aller celui qui s'y trouvait - ce qui posait quelques petits problèmes d'ordre physique, mais n'était pas extrêmement grave. Jusqu'alors, elle avait vu même de simples employés se retrouver au salon de thé comme par hasard, la plupart du temps alors qu'ils cherchaient les toilettes ou la machine à café, et aucun d'entre eux n'aurait été capable de se souvenir du trajet qu'il avait effectué pour se retrouver dans ce lieu. Il était même possible que ce ne soit pas tout à fait le même selon les gens, mais au final, le fait était que lorsque l'on voulait y aller, on le trouvait. Toujours.
Devant l'air perplexe qu'affichait son ami, Luo jugea néanmoins bon de développer un peu plus la chose, parce que c'était vrai quoi, il avait beau avoir l'air gentil, c'était un esprit rationnel, le Koko. Elle fronça donc les sourcils à son tour, cela l'aidant probablement à réfléchir, fit un vague embrouillamini de ses mains et toussota finalement :
" Enfin... Moi-même je ne sais pas exactement comment ça marche... Mais je suppose que si vous êtes au troisième étage, que vous pensez au salon de thé et que vous ouvrez une porte, vous pourriez vous y retrouver. Normalement. De toute façon on perd rien à essayer hein? " se justifia-t-elle avec un grand sourire pour masquer l'apparent non-sens de ses propos.

Donc en fait, il aurait juste à accepter la fatalité de se prendre des murs en pensant très fort qu'il avait envie de se droguer dans un salon de thé avec la secrétaire du sous-directeur de l'entreprise où il travaille?...

C'est fou comme le monde etait bien plus compliqué avant qu'il ne rencontre Luo Lewis. Avant, 'fallait trouver des portes, la poignée des portes, tout ci tout ça, et puis c'était dûr parce que lui, bah il ne voyait pas plus loin que ses pupilles.
Mais avec Luo, on s'drogue pour se faire des Rêves party dans des salons de thé qui apparaissent quand on a envie qu'ils apparaissent.

Life is fun, quoi.

Kolia resta perplexe - parce qu'après tout, c'était son expression favorite - et finit dans un dernier 'croc' son mikado.
'' Hehem. Eeeet ... Les lois physiques de cet immeuble s'adaptent aussi aux aveugles?"
Simple question de renseignements utiles.
'' Enfin, ça me parait pas vraiment étrange, comme histoire, parmi tout le reste, mais c'est vraiment que comme ça qu'on peut y acceder? "

" Je n'ai jamais pu y accéder autrement "
Elle sortit avec précaution un nouveau mikado de son petit sachet argenté et en croqua le bout d'un air pensif, le faisant passer au dessus, puis au dessous de sa langue, en suçotant juste le chocolat sans croquer. Étrange, cette histoire de salon de thé. C'était John, un jour, lassé, qu'il l'avait poussée à faire quelque chose de plus constructif que de lui courir après, sans doute un peu moins ivre que d'habitude ce jour-là car il avait réussi à faire une phrase complexe, et puis qu'il était parti par la porte de service pendant qu'elle réfléchissait à sa phrase. John et elle avaient presque ré-inventé le cache-cache ce jour-là - bref, elle y avait réfléchi, c'était dit que c'était vrai, quoi, quitte à ne rien faire pour son travail, autant faire quelque chose d'autre d'intéressant à côté. Elle avait donc décidé d'abandonner l'idée d'inculquer les bonnes manières à John pour la journée et était allée se balader dans l'entreprise.
C'était là qu'elle avait remarqué la porte. En fait, c'était une porte tout à fait normale, mais ce qu'elle avait de remarquable, c'était qu'elle venait d'apparaître, et que ça, c'était pas normal. Luo, encore jeune et innocente et peu habituée aux caprices du bâtiment chez qui les lois de la physique semblaient ne pas s'appliquer, après moult hésitations, s'était décidée à l'ouvrir, parce qu'après tout, ouvrir une porte mystérieuse, on pouvait considérer que c'était constructif, non? Elle avait ouvert la porte, fait un pas dans la pièce, allumé la lumière, et au bout de quelques secondes des ampoules jaunâtres s'étaient allumées péniblement, un éclairage au néon grésillant au dessus d'un comptoir poussiéreux, trois table, des chaises, un jukebox, des théières, et des fenêtres.
Des fenêtres.
A la rigueur, ça aurait pu passer. Les chaises, les tables, d'accord. Les néons, bon. Le comptoir, à la limite. Le jukebox, même, ça allait. Mais les fenêtres...
Ils étaient à l'intérieur du bâtiment, vous voyez, tout au centre, et ces fenêtres là, elles donnaient sur l'extérieur, elles donnaient même sur un magnifique temps pluvieux alors qu'elle avait quitté une des seules journées de soleil de la capitale, et d'ailleurs, derrière ce couloir, il était sensé y avoir la bibliothèque, pas une salon de thé, bref, ce salon de thé était sans doute planqué dans une déchirure de l'espace-temps, alors elle referma la porte, la verrouilla précautionneusement, fit demi-tour sur ses orteils et repartit en tentant de se persuader qu'elle n'avait rien vu de tout ça et en effaçant l'incident de son esprit.

Luo secoua la tête pour sortir de la rêverie dans laquelle l'avait plongée le salon de thé. C'était un fameux endroit, ça, pour sûr. Un peu moins poussiéreux que quand elle l'avait découvert mais...
" Et j'imagine que la Waldon s'en fiche que vous soyez aveugle. " Blanc. " Enfin, le bâtiment quoi. Ça doit vous paraître bizarre mais j'ai souvent l'impression que c'est un genre d'être vivant géant qui nous surveille et qui peut nous manger d'un instant à l'autre. " Nouveau blanc. " Mais c'est peut-être moi. On pourrait s'y retrouver, disons... Demain? Vert sept heures? "
Elle sourit, mâchonnant son mikado.
" Il n'y a plus personne dans les couloirs vers sept heures, ça sera plus facile "

Mais enfin Koko, c'est pourtant simple! Penses 'Salon de thé', prend toi le mur et ça f'ra pouf et tu seras au salon de thé! T'as jamais vu Harry Potter?
Ah, j'oubliais que Koko c'tait un type sérieux, un type logique.
Un type bien. Même si il a pas regardé les Harry Potter.
En même temps, vous me direz, je n'ai pas RP avec Koko d'puis un mois et... Bref, abrégons. Passer des heures sur l'expression corporelle de notre cher aveugle serait quelque peu inutile, ayant détailler 100 fois ses diverses et profondes perplexitudes, ses crispations d'homme sérieux et ses sourires d'homme heureux dans les rps précédents. Oui mais quoi dire pour faire ses lignes? Parler de son look vestimentaire? M'enfin Koko, au boulot, c'est chemise-cravate-pantalon-de-docteur-et-mocassins, voyons! Un type sérieux reste un type sérieux.
Mais le pire chez ce type sérieux, c'est son manque de fantaisie, d'originalité. Soit, c'est un original dans la forme, un rêveur au fond de lui, mais au bout d'un moment, bandages oubliés, on s'dit '' Des mecs comme ça, dude, on en croise partout " et dans le petit coeur pur de Koko ça fait Gling Vlang Splatsh. Parce que Koko c'est un sensible, vous savez, puis c'est pas un Coco [blague à part, oubliez je vous pris]. Un sensible qui crit au fond de lui coeur et âme, mais j'veux draguer, lancer des clins d'oeils à des femmes sur aiguilles d'un regard perçant, ne pas me prendre de poteaux, mieux arranger ma cravate le matin pour mieux la défaire quand Charlotta sera sous le bureau, mais non, Koko! T'es aveugle, Koko! Tu lances des clins d'oeils à des murs, tu t'prends des réverbères, tu t'ettouffes en mettant ta cravate, et Charlotta te prend le bras pour te remettre sur ta chaise d'un air d'infirmière avant de se faire le sous-directeur, vois comme la vie est dure, Koko!
Enfin, Charlotta et réverbères mis de côté, concentrons nous actuellement sur la sombre histoire de salon de thé.
'' Je pense que ça peut se faire. '' avait-il acquiescé alors que nous délirions sur les malheurs de Koko dans la narration, avec son même air du type qui réfléchit encore, et avant de rajouter, souriant d'un air de chat. '' ... Avouez que c'est quand même étrange de prévoir un rêve comme ça, du jour au lendemain comme un café à 10h. Ca vous arrive souvent?... ''
Luo, corrigeuse de rêves. Il voyait déjà le panneau et la queue de clients attendant pour entrer dans le petit chapiteau sombre, comme chez Madame Irma. Faudrait-il la payer, d'ailleurs?