Besoin de dormir.
Ca s'affichait comme un néon d'urgence sur son front, cette soudaine fatigue, cette envie de dormir qui l'a prit au beau milieu d'un thé à la menthe avec beaucoup de sucre ( cinq ou six morceaux, déjà? ) alors que déjà presque tout le monde avait fuis l'entreprise, sept heures sonnant, même peut-être le type qui fait peur avec ses bandages et le mec qui veut battre le record d'origami de signes en moins d'une minute et qui s'entraînait à longueur de journée.
Elle était peut être même toute seule. Plus de type flippant et de type à origami. Peut être même que le grand manitou de la Waldon avait fermé la porte et qu'elle devrait dormir là, avec son thé à la menthe trop sucré comme compagnie.
Dormir... Oh oui! Quelle douce idée! Dormir seule dans la cafétéria vide de l'entreprise, dans ce grand immeuble trop grand pour elle, pour une personne toute seule après sept heures! Ne pas sortir, s'engouffrer dans le métro et manger une pizza froide dans son studio, devant un mauvais film humoristique anglais.
Dormir, ici et maintenant.
Son cerveau l'ordonnait et, soumise, elle ronronnait presque sous ses ordres. Bah, après tout si mon cerveau le dit, songea tranquillement Juliette en posant son menton sur la manche chaude d'un pull d'homme emprunté lors d'une soirée de lycée et jamais rendu, bien sûr trop grand pour elle, avec la laine qui s'effilait sur les poignets. Quel pull confortable...
Elle sourit de plaisir, chauffa ses mains contre le mug de thé. Un vieux air de Frank Sinatra dans la tête, à cause d'une voisine de bureau qui l'écoutait en boucle, elle marmonna un peu l'air. Puis se tut. Posa sa tête entre ses bras, mit ses jambes en tailleur sur la chaise de la cafét' , observa de ses yeux endormis le mug...


Puis sans comprendre pourquoi, elle vit le ciel.
Le ciel?
Le toit s'était envolé?
KingKong avait frappé, surement.
Cachant une sucette quelque part dans sa robe à fleurs mal repassée, elle observa le ciel, l'immensité bleue et parsemée de nuages qui s'offraient à elle, juste au dessus de son crâne.
Ou était-elle?
Dans un jardin municipal. Il y avait même un petit cirque installé à côté de la fontaine, ce qui expliquait sans doute la présence d'un lama qu'elle tenait en laisse, à sa gauche.
Juliette rit.
Un lama, quelle drôle d'idée!
En plus il miaulait.
Juliette rit encore et son rire éparpilla en éclats de verres la barbe à papa qu'un gamin tenait dans sa petite menotte, et l'enfant pleura.
Juliette pleura aussi et le lama disparus, le cirque disparu, le jardin disparu et Juliette fut triste.
Mais il y avait le ciel et puis une route toute droite.
Juliette pleura et inonda les fossés autour de la route.
Stupide route.

John était parti depuis longtemps. Enfin, John avait fui depuis longtemps. Dans ses meilleurs jours et quand il n'avait pas de rendez-vous galant ni de beuverie prévue avec Mrs. Felton, il prenait ses cliques et ses claques et à six heures et demie il était parti. Et elle avait beau lui courir après dans le couloir en lui disant qu'il n'avait pas fini sa journée, il se glissait dans l'ascenseur comme une anguille et lui faisait un grand sourire avant qu'il ne se referme, avant qu'elle ne puisse l'attraper. Et elle restait comme une cruche plantée au milieu du couloir devant l'ascenseur et les gens aux boxes se penchaient pour la regarder. C'est la secrétaire de John, chuchotait-on en guise d'explication. Et on hochait la tête tristement en réponse. La pauvre.
Comme si elle avait perdu un membre de sa famille, quoi.
Elle ne savait pas combien de secrétaires avaient été sacrifiées à l'autel de la tentative de faire travailler John, mais elle était là depuis six mois et elle n'arrivait toujours pas à esquiver le phénomène. Les ruses les plus primaires étaient les meilleures. Luo, derrière vous! et paf, il était parti en courant dans le couloir. Une fois, elle l'avait surpris en train de s'interroger sur le fait qu'il puisse sauter sur l'escalier de secours de sa fenêtre. Heureusement pour tout le monde, il était trop flemmard pour tenter quelque chose du style. Toujours était-il qu'en ce beau jour d'août où l'entreprise était aussi somnolente qu'un lama sous morphine - double dose -, son blond de patron avait fugué à cinq heures et demie pour rejoindre une certaine Jeanne sans doute toute aussi blonde et bourge que lui, et Ludivine Lewis, sa malheureuse secrétaire aux cheveux bleus, traînait sa peine d'étages en étages en cherchant une chose digne d'intérêt à faire, ayant oublié ses cachets de somnifère à la maison.
Elle descendit les étages en trottinant. Pas un chat. Même pas à l'espace détente, pourtant lieu priviliégié d'ordinaire de la vie d'entreprise. Elle avait pensé un instant à venir voir comment tournait le salon de thé, mais elle y était déjà allée le matin même et le manque de clients se faisait sentir en ce moment. Il fallait dire aussi qu'ils étaient peu à le trouver, son salon de thé. Elle avait embauché une jeune fille très bien et très désoeuvrée pour y être pendant qu'elle baby-sittait John et ne se faisait pas trop de soucis, tant qu'elle ne gravait pas des morpions sur le bar en bois.
Ses bottes en plastique crissaient sur le sol. Elle ouvrit à tout hasard la porte de la caféteria, espérant peut-être pouvoir y chiper quelque chose, et ses yeux se heurtèrent à la vision d'une gamine - non, d'une jeune fille - endormie à une table de la caféteria.
Et Luo ne résistait jamais à la vision d'une jeune fille endormie, hein?
Rendant ses pas silencieux, elle s'approcha doucement de l'endormie. Son pull bleu dégoulinait sur ses bras et ses cheveux ébouriffés lui tombaient dans les yeux, mais elle semblait paisible - pas le genre à faire un cauchemar.
Elle parcourut la caféteria du regard. Bon. Quoi de plus bizarre que d'habitude si quelqu'un arrivait ici et voyait deux filles endormies? Au pire, ils se retrouveraient enfermés ici la nuit. Mais elle doutait qu'elles dorment si longtemps et il leur suffirait toujours de soudoyer le gardien, pour pouvoir sortir. Se persuadant elle-même, elle se tira une chaise et la regarda.
Bon. Je l'fais je l'fais pas?
Elle eut un sourire en voyant la gamine remuer. Oui, elle rêvait. Alors elle attrapa sa main, se concentra, et aussitôt tomba comme une masse sur le dossier de son fauteuil.


Un lama. Pourquoi pas écoutez. Une route, et la fille, qui marchait, on aurait dit qu'elle pleurait et qu'elle allait innonder le monde avec ses larmes. Luo jeta un oeil à sa tenue. Pour une quelconque raison, elle était habillée en tailleur et talons aiguilles. Elle fronça les sourcils, mécontente, et ses bottes en plastique habituelles se matérialisèrent tandis que la tenue se transformait en une robe de plage bleue certes moins classe. Par contre, elle n'arrivait pas à enlever la couronne en plastique sur sa tête. Les joies du subconscient. Haussant les épaules, elle s'approcha de la gamine, se disant qu'elle avait de toutes façons peu de chance de lui faire peur fringuée comme ça.
Elle décida d'adopter la formule classique, s'approcha de la fille et lui tendit un bonbon.
" Tiens. T'en veux hein? C'est goût séchoir. "
Pour une obscure raison, elle avait beau avoir dix-huit ans, elle ne pouvait pas penser à elle autrement que comme une gamine.

Quand Juliette vit la princesse bonbon, elle se sentit petit fille, et devint petite, toute petite, ses yeux semblèrent alors se charger d'innocence et de sa coupe courte sombre et emmélée poussa deux longues couettes noires, un peu en arrière mais plutôt hautes qui descendirant lui chatouiller les chevilles.
Petite fille.
Soudainement glissée dans un uniforme d'écolière.
Elle secha en reniflant ses larmes et regarda un instant les dernières grosses gouttes l'éclabousser dans la mare d'eau qui recouvrait tout ce paysage de film.
Puis prit le bobon, marmonnant un merci.
Même gout séchoir, c'est bon, un bonbon, et puis Juliette aimait bien ça. Juliette sourit. Elle s'assit dans un gros fauteuil rouge de grand-mère chic apparus comme dans un rêve derrière elle, ses pieds touchant à peine de la pointe de leurs ballerines la surface de l'eau, et posa son dos sur le coussin rouge assortis, mains posées sur ses genoux.
" Je t'attendais, sourit-elle, reniflant encore, mais à présent calme. Je suis toute seule ici, alors je t'attendais. '' Elle haucha la tête avec conviction. '' Moi j'attends, maintenant, tu sais. ''
Et elle oublia le bonbon, qui disparus de sa main, oublia son chagrin d'enfant et le ciel immense et bleu qui se transforma en toile de papier craft, d'où pendaient au bout de fils de nylon des étoiles jaunes en carton.
Puis, elle croisa les bras, se donnant un air sérieux.
Petite fille.
Tellement plus simple, la vie. Exiger, et être aimer, petite fille, c'est plus facile.
Le petit -ette à la fin de son prénom voulait bien dire cela. Toujours gamine. Jamais Julie, toujours Juliette.
Elle était heureuse à présent.
'' Raconte moi quelque chose! ''

Luo leva la main, attrapa une étoile pour la décrocher et mordit dedans. Le jus de l'étoile dégoulina sur son menton, ça a avait un drôle de goût, un genre de pêche, le fil qui retenait l'étoile tira tira puis se cassa dans un petit bruit de clochettes. Pâques. Peut-être que c'était Pâques et que les oeufs en chocolat allaient tomber du ciel de papier de soie comme les étoiles. Allez savoir, elle n'était pas dans sa tête.
Intéressant, ce rêve. L'imagination en papier mâché d'une petite fille qui colle ses espoirs avec du scotch. Les restes de ses espoirs plutôt. Les petits morceaux découpés que le vent avait bien voulu ramener dans sa direction, qu'elle avait attrapés et punaisés au mur en attendant l'ombre de ce grand garçon au cheveux noirs qui allait s'asseoir dans ce fauteuil et la poser sur ses genoux. Elle essuya son menton dégoulinant de restes dorés d'étoiles de son poing, lapa avec sa langue les restes sur ses lèvres sucrées, et s'approcha de la petite reine dans son fauteuil;
En la voyant elle eut envie de pleurer. Bizarrement, comme ça. En la voyant reine de son petit monde bricolé, fabriqué sur les ruines d'un machin bien plus grand qu'il l'avait précédé. Elle avait encore les traits ronds de l'enfance, des collants rayés et la pointe de ses chaussures ne touchait pas le sol. Elle avait de très grands yeux et de longs cils et les sourcils froncés de celle qui attend d'être obéie parce qu'attention sinon j'appelle ma maman et elle va te crier dessuuuus.
Luo s'approcha et s'assit en tailleur en face d'elle, elle eut envie de se lever et de la prendre dans ses bras pour la réconforter mais elle savait que ce n'était pas elle qu'elle attendait qu'elle avait juste confondu leurs ombres. Elle se contenta de s'asseoir et elle fit tout simplement, comme ça, comme les conteurs dans ces histoires des mille et une nuits :
" Quelle histoire veux-tu entendre? "
Une triste, une belle, une drôle, Une vraie?

Juliette balança ses jambes, une, deux, et sembla compter chaque petit coup de mollet sur le fauteuil, réfléchissant.
Une deux, une deux, pancakes sur table basse à sa gauche.
Une deux une deux, vieille moquette remplaçant l'eau.
Une deux, une deux, elle pouvait tout, elle voulait tout.
'' Qu'on leur coupe la tête! '' aurait-elle exiger, pointant du doigt ses tyrans imaginaires, ceux qui l'enfermaient dans la boîte à cauchemards la nuit, alors que les rêves s'offraient à elle.
Mais il n'y avait qu'elle, reine d'un royaume si vide, mais reine quand même de cette conteuse là, et une deux, cette conteuse serait sa conteuse, son amie.
Elle sourit à cette idée, et releva son visage vers sa conteuse, fiere de son amie, qui resterait toujours avec elle, quoi qu'il arrive.

Tu resteras n'est ce pas? Dis, Conteuse, partiras-tu, toi aussi? Et les étoiles, elles aussi? Sur qui je régnerais, alors?

" Une histoire qui finit bien, Conteuse. " sourit-elle de ses dents à bonbons mais sans carries, miracle de son enfance. Une histoire qui finit bien, quelle divine idée! A quoi ça sert les histoires tristes? Alice qui se rêveille finalement, le Petit Chaperon Rouge qui finit mangée? Foutises, mes amis, foutises!

Une histoire qui finit bien, sans paquet cadeau, ce n'est pas pour offrir, seulement pour usage personnel mademoiselle. Allez, pourquoi ne pas me faire une réduction? Je suis jolie et pleine de vie! Et, dites moi, c'est garantit combien de temps? A vie? Merveilleux!

Elle voulait tout ce que le monde pouvait lui offrir. Si le monde ne lui offrait pas d'histoire-qui-finit-bien, alors c'etait qu'un pourris, et il faudrait changer de monde.
Et toc.

Une histoire qui finit bien...
Une histoire qui vend du rêve aux petits enfants, parce que les gentils sont toujours amis, les méchants meurent tous pan pan, et les mignons lapins aux yeux roses gambadent dans la forêt. Une histoire pour bien dormir même si on sait que rien n'est vrai, pour se rassurer, tout ira bien, tout ira bien. Une histoire pour oublier comment le monde est vraiment, c'est à ça que ça sert, à oublier, à transporter, à faire pleurer, rire, batailler, à être multiple.
Luo réfléchit.
Elle consulta ses histoires. En chercha une qu'elle ne connaitrait pas. Pas d'Alice ou de Chaperon dans ce monde-là ou sa petite princesse aurait été déçue de son manque d'imagination, cette enfant-là voulait une histoire consacrée, inventée pour son usage unique, dont elle se rappellerait en se réveillant sans savoir bien qui en était l'héroïne. Luo et son nom qui coule sur la langue regarda Juliette et ses photos de famille accrochées à des pinces à linge au-dessus de sa tête, les bribes de souvenirs qui flottaient là, quelques scènes perdues, une envie de glace à la menthe, les pensées confuses qui se matérialisaient l'espace d'un instant dans la pièce au feu qui crépite. L'intérieur d'un grand manoir. Les réminescences du palais de la princesse.
La jeune femme réfléchit et toussota, et regarda Juliette dont elle avait deviné le nom devant elle, non, elle ne lui raconterait pas l'histoire de Roméo, et en voyant ses yeux lui vint l'idée d'un gramophone.
C'était une très vieille histoire avec une petite fille, des fantômes et des attrapeurs de lumière et elle se finissait mal mais on peut toujours changer les histoires. C'est comme ça que ça marche.
Elle s'éclaircit la gorge et en la fixant, commença.

" Il était une fois une petite fille qui avait les yeux noirs... "

Ca y est. L'histoire commençait.
Juliette sourit, se redressant sur son siege, comme soudainement impatiente, exitée à l'idée de la belle histoire qu'allait lui conter Conteuse.
Une petite fille aux yeux noirs?
Une foultitude de questions vinrent à son esprit, et une deux une deux, petit mouvement de jambes, après tout c'était sa Conteuse, elle avait le droit de poser des questions. Et toc aux méchantes institutrices qui soupiraient, roulant leurs yeux dans leurs paupières trop maquillées parce que '' vous voulez que je vous la raconte, l'histoire, oui ou non?! '' lorsque jeunesse était curieuse. Et puis les histoires d'école primaire, tout le monde les connaissaient, alors c'était nul. Celle là, avec la petite fille aux yeux noirs, sur, sur, suuuur, on ne lui avait jamais raconté.
Elle regarda Luo, et songea un instant à la jolie Scheherazade enfermée dans son palais des milles et une nuit, des milles et une nuit à conter ses histoires, et sourit encore, sourire de chat, une deux une deux, enfin les questions fusérent:
'' Elle s'appellait comment, la fille? Elle habitait où? Elle est jolie? Elle est grande? Allez, raconte, raconte! "
Elle trépida sur place, alors qu'une foule de voix semblaient crier derrieres elles 'Des détails! Des détails! " puis tendit les bras vers Conteuse, soudainement attirée par le petit détail de son apparence.
" La couronne! Tu es une princesse? ''

" Je suis la princesse des conteuses " acquiesca Luo d'un air grave. " On m'a envoyée en porte-parole de mon peuple dans les rêves des petites filles pour qu'elles n'arrêtent pas de raconter des histoires. C'est pour ça que je suis venue te voir. "
Elle prit précautionneusement la couronne en papier de galette des rois qui tombait de ses cheveux et la posa sur ses jambes pliées en tailleur, arrangea les manches de son long châle noir, se redressa correctement, leva la main et claqua des doigts. Instantanément, les lumières s'éteignirent, ne laissant pour les éclairer qu'un unique réverbère, posé au centre de la pièce sur le vieux parquet du chateau. Leurs ombres s'étalaient sur le mur derrière elle. L'esprit de cette fille était tellement ouvert à son conte qu'elle pouvait même y mettre ses propres images. Luo remonta les franges dorées du châle pour qu'elles cessent de lui tomber dans les cheveux.
" La petite fille avait de très longs cheveux noirs comme la nuit et sa peau était blanche comme celle de Blanche-Neige. Elle vivait depuis trois mille six cent quatre-vingt-dix-huit jours, et chaque jour que la vie lui donnait, elle se réveillait dans des draps de soie et voyait ses cheveux coiffés par des domestiques en robe blanche qui l'habillaient et la déshabillaient cinq fois par jour ; une fois pour ses cours de la matinée, une fois pour le repas du midi, une fois pour sa promenade de l'après-midi, une fois pour la soirée et enfin une fois pour sa tenue de nuit " fit Luo en énumérant les nombres sur ses doigts. " Elle vivait dans un grand manoir plus grand que tout manoir et était la petite fille la plus ravissante du comté, ce qui n'était pas surprenant puisqu'elle était Comtesse de par son rang. Son âge n'équivalait qu'à dix de vos années, mais elle était déjà intelligente et érudite, bien qu'elle échappe souvent à ses précepteurs pour aller courir dans le jardin ou jouer avec les domestiques, parce que c'était une petite fille gentille et sans préjugés qui n'avait pas beaucoup d'amis, puisqu'elle était l'héritière du Comté du Chester. Mais elle était triste de temps en temps, parce que son chat ne souriait pas, malgré ce qui est écrit dans le conte. "
Luo s'arrêta pour reprendre son souffle et regarda le réverbère. Un vieux réverbère à l'ancienne comme on n'en trouve plus que dans les villages de campagne anglais, et sa flamme vacillante qui semblait prête à s'éteindre à chaque instant, mais elle savait qu'elle ne s'étendrait pas avant que l'attrapeur de lumière ne vienne la prendre. C'était comme ça dans ce monde-là.
Elle détourna le regard vers sa petite Juliette pendue à ses lèvres.
" Et alors? Devine ce qu'il est arrivé à une gamine aussi parfaite? " tenta-t-elle en écartant les mains en signe d'interrogation.

Elle aurait voulu tout d'abord protester, s'écrier '' Bah moi aussi, je suis jolie, j'ai des domestiques, je suis parfaite! " mais d'une moue malgré tout boudeuse de jalousie face aux fillettes parfaites des contes de fée, elle n'osa pas interrompre la princesse des Conteuses, et continua à écouter, attentivement, yeux grands ouverts, bouche à demi-close. Elle entendit des éclats de rires de fillette derrière elle, comme pour illustrer la petite parfaite, et elle se retourna en sursaut. Pouvait-elle rire ainsi, elle aussi? Pouvait-elle être habillée cinq fois par jour? Se balader dans un immense manoir, jouer dans un parc avec un chat?
Après elle aussi, elle avait de longs cheveux noirs comme la nuit et la peau blanche comme celle de Blanche-Neige.
Que le monde était injuste!
Juliette fixa la princesse avec une sorte de gourmandise, tentant de deviner. Elle se pencha de son fauteuil, semblant vouloir accrocher Conteuse, puis finit par dire, doucement, comme une évidence.
" Il lui arrive malheur. "
Car dans tous les cas, c'était toujours ce qu'il arrivait dans les contes, avant le prince charmant, et autres fantaisies pour placer la jolie fin.
Jalouse, jalouse, jalouse, jalouse des contes.
" Elle devient folle? Tombe t-elle malade? Une sorcière vient la voir et l'empoisonne? " continua Juliette, comme si elle voulait par dessus tout trouvé la solution à cette devinette.
Perds t-elle quelqu'un? Tombe t-elle dans le coma? Une malédiction, peut-être? Elle est kidnappée?

Luo écarta d'un geste les suppositions de la fillette, dédaigneusement, comme on écarte une mouche, comme si elle était au dessus de tout ça.
" Je pensais que tu voulais une jolie histoire? Sans fantômes? Sans monstres qui font peur? " fit-elle alors qu'elle savait déjà ce qu'allait répondre Juliette, et qu'elle la fixait dans les yeux, comme pour l'inciter à démentir, à lui dire qu'elle ne voulait pas une histoire niaise de pomme d'api. " Je peux te raconter une jolie histoire comme tu me l'as demandée, si tu veux. "
Luo s'écarta un petit peu, se redressant, bien droite, semblant plus grande que Juliette bien qu'elle soit assise par terre et celle-ci sur un fauteuil, mais on était dans un rêve, après tout. Elle leva la main, l'ouvrit, et en dépliant les doigts y fit pousser une minuscule lanterne qu'elle suspendit sur le fil de l'étoile la plus proche, qui geignit un peu dans son sommeil mais ne se réveilla pas. Elle étendit le bras, étira les doigts et sur le mur derrière elle, l'ombre de son bras se transforma en aile. Elle recroquevilla les doigts en coupe, les faisant doucement jouer dans la lumière. Ils s'étendirent le long du mur en pattes d'araignée et elle se pencha vers Juliette.
" Ou alors je peux te raconter la véritable histoire " chuchota-t-elle à la gamine, et il sembla que la luminosité de la pièce avait soudainement baissé, et elles n'étaient plus dans le manoir de Juliette mais dans une chambre très sombre aux rideaux tirés, plus de réverbère, plus de cheminées, juste de lourds rideaux de velours et leurs quelques étoiles qui tombaient du ciel, dans l'ombre de la lanterne de Luo. Elle fixa Juliette encore un petit peu, sa voix se fit plus basse, aussi lourde que du miel, et lorsqu'elle écarta les doigts, leur ombre se détacha du mur et alla glisser le long des meubles.
" C'est une triste histoire, elle ne se finit ni bien, ni mal, elle est remplie d'ombres et de musique "
Elle ramena les mains devant son visage, mais leur ombre qui s'en était déjà échappée continuait de glisser le long des tentures, s'insinuant dans les plis des vêtements, dans les moulures du manoir jusqu'à un immense lit à baldaquins dont elles enserrèrent les pieds.
" C'est une histoire qui parle d'une petite fille qui te ressemble, d'un gramophone, de réverbères, de lumière et de monstres... "
Elle écarta les mains en fleur et les posa sur ses genoux, ses yeux qui étaient bleus plantés dans ceux de la gamine.
" Alors? Je te la raconte, princesse? "

[ comme tu le vois je m'amuse bien. et la couleur de cheveux de Luo a changé pendant le post, c'est pour ça que la couleur de ses paroles aussi, hehem. ]

Juliette regarda, droite, gauche et soudain eu peur. Peur des ombres dans la sombre luminosité, s'affola, regarda encore, droite, gauche et les ombres qui bougeaient toujours autour d'elles. Elle ne sentit pas son coeur battre fort, mais l'imagina.
On imagine tout, dans un rêve, le moindre chaton peut se transformer en monstre et alors on ferme les yeux, fort, fort, on cris. Juliette ne cria pas. Mais se sentit mal.
Quelque chose la vidait. Quelque chose la fouillait. Quelque part, elle avait cette impression si mystérieuse, si atroce d'avoir été touvée et inspectée, comme lorsqu'on se rends compte que quelqu'un est venu dans notre chambre et qu'il peut très bien être encore caché dans le placard.
Qui?
La petite au gramophone?
Une histoire, rien de plus. Plus les ombres bougeaient plus elle oubliait finalement sa première peur, se tenait les bras.
Elle eut peur cette fois que Conteuse vois en elle sa crainte comme une peur de bébé à cette véritable histoire. Et Juliette n'était pas un bébé. Juliette est une grande, maintenant.
Elle tenta de se calmer, se concentra. Quelle était cette vraie histoire?
Elle exigea tout simplement " Raconte donc! " et sut que Conteuse lui raconterait alors.
" mais, Conteuse, c'est quoi un gramophone? "

Luo sembla réfléchir un instant, comme dans les illustrations d'un magazine pour enfants, un index sur la bouche, levant le regard vers le haut des rideaux, puis baissa le regard vers la fillette. Elle la fixa un instant, puis tourna la tête vers la droite et son regard rencontra un vieux gramophone poussiéreux qui assurément n'était pas là quelques secondes plus tôt, mais qui s'en soucie? Le pavillon doré avait rouillé étrangement, et se mâtinait de vert dans la pénombre. Le diamant luisait doucement. Elle montra de l'index le gramophone posé sur le tabouret de bois, à quelques mètres d'elle.
" Ca, c'est un gramophone. C'est un très vieil objet pour écouter la musique et pour la voir vraiment vivre. Et celui-là, c'est le gramophone d'Isabella Lisbeth Rosaline de la Fontaine, l'héroïne de notre histoire. Et nous sommes dans sa chambre. "
Luo posa les mains sur ses jambes, le nez toujours levé vers sa princesse.
" Elle est bien sombre, n'est-ce pas? Bien sombre pour une chambre de petite Comptesse. C'est qu'il lui est arrivé quelque chose, à Isabella Lisbeth Rosaline de la Fontaine. Tu vois, c'était un après-midi du début de l'été, et elle apprenait la biologie avec son précepteur lorsque... - Mais la voilà qui arrive "
Luo interrompit son récit et tourna la tête vers le gramophone vers lequel accourait, venue de nul part, une gamine en robe blanche et longs cheveux noirs. Ils étaient tirés en couettes hautes et bouclées, et ses yeux tellement noirs semblaient manger la moitié de son visage et se préparer pour le reste ; elle se planta devant le gramophone et se penchant avec délicatesse, presque avec amour, posa le diamant sur le premier sillon du disque et mit en marche le gramophone.
Il crépita un instant puis les premières notes d'un piano en jaillirent, hésitantes, et la petite fille, sur la pointe des pieds comme pour ne pas déranger, alla s'installer dans le lourd fauteuil rouge près du gramophone, et ferma les yeux, I don't feel so well chantonna-t-elle lorsque s'éleva la voix de velours. Et, doucement, disparut. Laissant son gramophone parler à sa place, seul dans la pièce du conte. Luo fixa la scène un instant, ferma les yeux. Et se retourna vers Juliette.
" C'est elle " fit-elle d'une voix caressante, presque un murmure, comme si elle parlait d'une vieille amie, par dessus le son du gramophone. " C'est Isabella, confia-t-elle, c'est la petite fille du conte. Elle est devenue folle. Un jour, en cours de biologie, elle s'est effondrée par terre, et quand elle s'est revéillée, dans ce lit, juste derrière toi, princesse, elle les voyait. Les ombres. Celles qui se sont échappées de mes doigts. Elles ont longé les murs, se sont collées à son lit, ont serpenté jusqu'à ses pieds et ont attrapé ses chevilles pour l'entraîner avec elles, alors elle a crié, mais lorsque ses parents sont arrivés, les ombres ont disparu. Et cela a recommencé. Chaque jour, chaque nuit. Vois-tu, seule Isabella Lisbeth Rosaline voyait les ombres, car elles étaient attirés par ses grands yeux noirs ; et même lorsqu'elle les fermait, elle les voyait dans ses rêves, faisait des cauchemars et pleurait toutes les nuits en froissant ses draps blancs, parce qu'elles se glissaient dans tous, les fentes, les interstices, les plis des tissus ; il était impossible de leur échapper. "
Luo ferma les yeux un instant, savoura la musique qui semblait couler dans la pièce, comme de la crème, du miel, qui l'enveloppaiit, la réchauffait, la musique tant entendue lorsqu'elle avait rêvé d'Isabella Lisbeth Rosaline. Et les violons, et la contrebasse qui pinçait les cordes de son âme, et l'accordéon qui lui torturait l'esprit, et surtout la voix de velours, qui se coulait, chaude et rassurante, dans tous ses doutes et ses peurs pour les faire disparaître. Cette chanson-là. Elle sourit. Mais son histoire n'était pas heureuse.
" Et elle est restée là longtemps, Isabella, fit-elle d'une voix toute basse. Je la voyais, parfois. Elle restait là toute triste, elle ne sortait pas de son lit, elle n'ouvrait pas les rideaux, parce que sous les draps ils ne l'auraient pas, disait-elle. Elle ne voulait plus manger, plus s'habiller. Ses parents pleuraient et se lamentaient, au début, puis le temps passa, ils vinrent la voir moins souvent, parce que c'était des gens occupés ses parents, et elle a arrêté de manger, elle est devenue toute maigre et ses yeux ont tellement pleuré qu'ils sont devenus tout noirs, entièrement, totalement noirs. Elle était si mignonne, mais elle a arrêté de se coiffer, ses cheveux sont restés emmêlés, tout l'été elle a eu chaud, collée à ses draps, incapable d'ouvrir les yeux pour voir ses monstres. Les monstres qui ne la toucheraient plus jamais, disait-elle, jamais, jamais, jamais. "
Elle soupira, ouvrit les mains, les posa sur ses genoux.
" Combien de temps cela aurait-il pu durer? L'éternité, sans doute. "

" ... Isabella? "
La petite ampoule sembla apparaitre au dessus du crâne de la fillette, et alors tout se brisa.
Dans un bruit de verre cassé, le décor éclata en milles morceaux autour d'elles et tout ce que sa Conteuse avait créer disparut en seulement quelques quarts de seconde.
Comme ça, aussi simplement.
Et Juliette qui, aussi simplement, fronçait les sourcils. Juliette fronçait les sourcils, le regard de celle qu'on a trahit posé sur celle qu'elle avait considérée comme amie jusqu'ici. Maintenant, la vérité éclaté au grand jour. Conteuse fouillait dans son esprit, c'était sûr. Elle se servait de ce qu'elle pouvait sortir de la tête de Juliette pour la rendre jalouse, pour la mettre en colère.
C'était sûr.
Sinon, elle n'aurait pas parlé d'Isabella Lisbeth Rosaline De la Fontaine.
Conteuse était-elle une diabolique servante du prince Cruelien du pays voisin à celui que la petite reine gouverné? Possible. Même très probable.
" Moi, je connais Isabella. '' fit-elle en articulant bien chaque mots.

Isabella avait un conte. Isabella avait un conte. Isabella, sa peau blanche, son p'tit sourire pincé, son air hautain lorsqu'elle parcourait les couloirs du pensionnat, cette même Isabella avait donc un conte.
" Elle n'est pas finie son histoire. Elle est étudiante à Paris. E-tu-di-ante. "
Pendant que Juliette pourrissait sans emploi à Londres, Isabella étudiait.
Isabella pouvait embrasser des hommes et n'était pas obligé de se retourner à chaque pas dans la rue.
Et Isabella avait un conte.

Et Luo se retrouva assise dans le vide. Elle regarda autour d'elle, mais ses mains ne créaient plus les ombres, ses doigts ne dessinaient plus les limites de la minuscule bulle qu'elle avait crée dans l'esprit de Juliette. Son esprit tellement incroyablement ouvert et curieux qu'elle avait pu y dessiner ce qu'elle voulait, y importer un tout petit bout de son rêve, son esprit s'était refermé dès qu'elle avait entendu le nom de l'héroïne de son histoire et de nouveau Luo s'y retrouvait seule et minuscule, étrangère. Elle était l'ennemie, celle qui s'était immiscée dans les rêves de la gamine. La gamine qui la fixait les sourcils froncés et vengeurs, l'air déçu, l'air trahi, l'air triste. Et c'est seulement lorsqu'elle martela les derniers mots que Luo comprit ce qu'elle lui disait et pourquoi elle le disait.
Elle connaissait Isabella. Non, elle connaissait cette Isabella là, son Isabella à elle, ce n'était tout de même pas possible qu'il existe deux Isabella Lisbeth Rosaline de la Fontaine dans le monde, deux Isabella aux cheveux noirs et à la peau blanche et malade. Elle connaissait cette gamine que Luo pensait avoir inventée.
Car c'était comme ça qu'elle connaissait Isabella. Elle avait rêvé et un jour était arrivée dans cette pièce sombre sans avoir rien demandé et avait vu cette scène qu'elle pensait avait inventée, elle l'avait vue de plus en plus au fil des jours. Elle se prenait ses paquets de bonbons dans ses rêves et regardait l'histoire en cinémascope devant ses yeux. Elle était petite et ne connaissait rien au mécanisme de ses rêves qu'elle croyait être une fête foraine éternelle, un parc d'amusements gratuit enfoui au fond de ses draps. En grandissant elle s'était faite à l'idée qu'Isabella était la création de son esprit et de temps en temps revoyait sa chambre vide, parce qu'Isabella était partie on ne sait où à la fin de l'histoire.
Et là cette gamine à couettes lui disait qu'elle connaisait sa Isabella. Sa petite comtesse de l'ombre. Elle aussi fronça les sourcils.
" Mais... Isabella n'existe pas! Enfin... "
Elle fit un vague geste.
" Elle existe dans mes rêves! C'est mon esprit qui l'a créée! C'est pas possible que tu la connaisses! "
Il y avait une vieille jalousie d'enfant qui tient à son rêve dans ses mots et l'incompréhension de ce qui était en train de se produire. Elle n'avait jamais rien compris à ce qui se passait dans sa tête pour qu'elle voyage tant lors de ses rêves, de toute façon. Et comme si ça n'était pas assez compliqué comme ça, Juliette, la princesse Juliette venait lui apporter une complication supplémentaire.
Elle se prit le visage dans les mains. Holy shit, elle n'y comprenait rien.

[ ça devient compliquéééé xd j'adore le fait que même nous on ait pas d'explication rationnelle. bref. ]

Et comme le vide était trop vide, le noir trop noir pour que Juliette n'est pas peur, une nouvelle scene apparue dans ce groteste rêve.
Nouvel acte.
Juliette se releva comme si son fauteuil n'était plus qu'épines, les poings serrés et une colère grandissant en elle. Elle ne s'ettonna même pas de ce nouveau sentiment; peut être qu'au fond d'elle elle avait accepté les sensations que modulaient ses rêves, les sautes d'humeur diverses, changeant celon le paysage. Paysage qui, oui, d'ailleurs, était à présent totalement contrôlé par sa bête d'imagination. Piece sans fin, sol en damier, fauteuil, et, à l'ettonnement de tout le monde, des ours en peluche qui s'avancaient petit peton par petit peton vers elles, tentant un air méchant sur leur bouille innocente. Pourquoi des ours? Allez savoir. Mais il fallait des serviteurs à la Reine Juliette.
" Isabella n'est pas ton rêve! " déclara t-elle comme si elle voulait se le prouver à soi même.
" C'est.. C'est mon amie! Elle existe! ''
Et elle se laissa tomber sur les fesses, face à la conteuse; les ours de peluche s'arrêtèrent.
" Toi, tu fais partie de mon rêve. " fit-elle avec plus de calme. '' Tu n'existes pas. Je t'ai crée. Je suis en train de rêver. ''

Luo resta muette.
Il est toujours étrange de s'entendre de dire qu'on existe pas. Que quelqu'un soit persuadé que l'on est qu'une création de son esprit. Quelque part, c'est narcissique, un peu. S'imaginer que l'on a créé le monde s'il ne nous convient pas - ou peut-être qu'elle avait juste peur. Sa mère a elle n'avait jamais admis le fait que sa fille rentrait dans ses rêves, pensant juste rêver de Luo, et puis celle-ci avait renncé à le lui faire comprendre. Et maintenant, on lui disait, à elle, Luo la fille des rêves, que même ses rêves qu'elle pensait solitaires s'étaient mélangés à ceux d'autres personne, qu'elles non plus n'était plus seule quand elle someillait - elle qui pensait être seule maîtresse à bord, créer tout ses mondes intérieurs du bout de ses doigts.
Et devant elle, Juliette aussi avait peur. Quelque part ni l'une ni l'autre ne comprenait vraiment ce qui se passait, sans doute, et Luo regarda, comme fascinée, les peluches s'avancer vers elle puis s'effonder au sol comme si on avait brusquement coupé les ficelles qui les retenaient debout.
Elle resta assise en tailleur. Elle regarda la fillette calme. Et se dit que comme souvent le mieux serait de dire la vérité.
" Tu rêves " fit-elle lentement " mais j'existe. Je rêve avec toi. Si tu te réveilles, tu verras que je suis assise juste à côté de toi sur la chaise "
Une petite musique commença, quelque part dans un coin, comme une berçeuse, comme s'il fallait qu'elles s'endorment encore plus profondément pour pouvoir se réveiller dans la réalité et sortir de ce monde à carreaux ou tout les unviers se mélangeaient au moindre mouvement qu'elles faisaient.
" Il y a une passerelle entre nous deux " continua-t-elle. " Je peux rentrer dans les rêves des gens et je suis rentrée dans le tien. Mais je ne te veux aucun mal " On aurait dit qu'elle voulait apprivoiser un animal sauvage. Elle laissa un blanc, songeant qu'il fallait peut-être rajuter quelque chose. " Je suis désolée. "

Ses sourcils se fléchirent légèrement, accentuant le regard d'incomprehension que Juliette lançait à Luo.
Bien sûr, ce n'était pas qu'elle ne l'a croyait pas.
Pas qu'elle allait se rêveiller tellement son imagination l'exaspérait. Elle croyait à Peter Pan, elle croyait au Père Noël et au Prince Charmant; alors après tout pourquoi ne pas croire à une squatteuse de rêves?
Mais il y avait un certain seuil de N'importe-quoi où rêve et réalité se mélangeaient tellement qu'on ne savait même plus quelle était la date d'aujourd'hui, et oui, Juliette ne savait plus quel jour elle était et de quel endroit elle s'était endormie. Après tout, dans un rêve, on ne sait jamais rien.
Se retour de logique fit disparaître Reine Juliette, comme ça, avec tous ses ours en peluches et ses sols en damiers, ses étoiles en carton et ses grosses larmes d'enfant. Juliette la petite grande fille revint. T-shirt large-jean-chaussettes-différentes, et un air inquiet sur le visage.
'' Tu es réelle? Tu es dans mon rêve? '' voulut-elle confirmer timidement. '' Mais pourquoi tu fais ça? J'aurais pu.. Rêver de n'importe quoi, de ma vie, de mes secrets, ça te tient pas en conscience de surprendre les pensées des gens? "

Pour une obscure raison, la seule chose qui marqua Ludivine, c'était que les chaussettes de Juliette était dépareillées.
Elle en avait une bleu nuit avec des étoiles jaune pétant dessus qui souriaient d'un air super heureux d'étoiles super heureuses d'être des étoiles. L'autre était grisâtre, maronasse, avec des lapins qui gambadaient joyeusement après une carotte qui avait un peu déteint au lavage. Les pans du jean trop large retroussé tombaient sur les motifs, et au-dessus de ces fascinants pieds, il y avait Juliette, la vraie Juliette, ses seize ans, ses cheveux courts, ses airs d'éternelle ado.
Ludivine la fixa un instant. C'était une bonne question. A force de fréquenter les rêves, ils devenaient tous tellement aléatoires, et parfois tellement peu en rapport avec ce qu'elle avait vécu dans la réalité, qu'elle en oubliait que chez les gens plus normaux, les envies, les espoirs, les peurs, les hantises et les obssessions filtraient comme du café dans les rêves. Comme le rêve qu'elle venait de voir. Le traumatisme inconnu auquel elle avait assisté, ce royaume tissé d'espoir au fil des années, cette gamine qui attendait, qui avait attendu trop longtemps, et la jeune fille devant elle qui quelque part attendait toujours, elle aussi.
Elle attendait quoi?
Ca, elle n'avait pas pu le savoir. L'ombre de l'inconnu était trop floue sur le mur. Le bruit de ses pas trop silencieux dans le dédale des pensées de Juliette. Le son de sa voix s'estompait trop, un peu plus chaque jour de chaque année.
Juliette la regardait toujours. Avec une sorte de curiosité. Ludivine baissa la tête et la secoua doucement.
" C'est ton subconscient qui agit, le plus souvent, dans tes rêves. Il est presque impossible d'y trouver une idée construite, réelle, qui existe en même exemplaire dans la vraie vie. Les rêves sont liés à la vie du rêveur mais sont peu révélateurs quand on ne connait pas vraiment la personne "
Elle s'inclina un peu.
" Mais je suis désolée d'être entrée dans ton rêve. Je voulais juste voir un peu, à quoi ça ressemblait. Tu ne t'en souviendras sans doute plus en te réveillant, mais je m'excuse "

Juliette la regarda encore, sourcils froncés, petite moue boudeuse sur son visage d'enfant et tirailla sur son pull en laine comme une gamine. Ce qu'elle était d'ailleurs. M'enfin. Ce n'était plus une légende.
'' Mais nooon, j'veux m'en souvenir! '' fit-elle comme si en déclamant la moindre exigence, celle-ci serait satisfaite quelques instants après. '' De toute façon j'ai trèèès bonne mémoire. puis si comme tu dis je me rêveille à côté de toi, je t'oublierais pas, ou du moins je n'aurais pas le temps. ''
Plus à l'aise, vous l'aurez remarqué.
Et le pouvoir de Luo la fascinait. Elle l'enviait. Et même si elle aurait pu découvrir dans ce rêve là des petits secrets à elle, elle savait que si elle avait eu, elle, la capacité d'entrer dans les rêves, elle l'aurait fait la même chose, et sans acte de conscience.
Elle lui adressa un sourire de lutin.
'' Enfin, arrangons ça avec des présentations dans les règles de l'art. je me pince pour me rêveiller? Tu m'jures que si j'oublis tu me rappelle le rêve? ''
Dans la tête de Juliette, tout était simple et les méchants n'existaient pas. Si cette fille là lui avait raconté une histoire dans son rêve, lui avait parlé, alors, ni un, ni deux, elle la voudrait comme amie dans la réalité.

Luo releva la tête, l'air un chouïa étonnée.
La gamine ne lui en voulait pas. La gamine la voulait pour amie. La gamine, qui n'était plus tellement une gamine d'ailleurs, plutôt une adolescente, la gamine pourtant lui souriait, et avait l'air de trouver ça normal qu'une fille débarque dans ses rêves et lui raconte des trucs sur un don incroyable - après tout si elle était à la Waldon, et si jeune, sans doute avait-elle quelque chose d'extraordinaire.
De toute façon, après ce rêve, difficile de se dire même un tout petit peu que Juliette était normale. Les rêves ont tendance à être bizarre mais... Bref. Luo, l'air un peu interloquée, mais un sourire quand même au lèvres, un peu perplexe, tendit la main vers Juliette.
" Tu ne t'en souviendras que vaguement mais si tu y tiens, je pourrai te le rappeler - pour moi, les rêves sont aussi clairs que la vie pour vous, en quelque sorte " expliqua-t-elle.
Elle ouvrit légèrement la paume de la main, comme si elle expliquait quelque chose ou qu'elle s'attendait à ce que la nourriture ou une pièce tombe à l'intérieur.
" Ce n'est pas aussi simple. Moi je peux me réveiller à tout moment mais chez toi, c'est aléatoire, ou il faudrait que tu meures, mais tu n'as peut-être pas envie que je te tue pour te réveiller " fit-elle d'un air soucieux ( ce qui, sorti du contexte, je vous l'accorde, pouvait paraître quand même vachement bizarre ) . " Dans tous les cas, te pincer, même très fort, ne suffira pas. Je ne pense pas. "
Elle ferma la main, hésitant un petit peu, puis finalement la tendit réellement vers Juliette.
" En attendant, moi c'est Luo, Luo Lewis, je suis secrétaire à la Waldon - enfin en vrai je suis plus la baby-sitter du sous-directeur mais ça, je ne suis pas sensée le dire, m'enfin c'est un rêve - bref, et toi? Juliette, c'est ça? "
On ne pourrait pas l'appeler "gamine" éternellement, tout de même. Elle pencha un peu la tête et lui fit un sourire gentil.

Elle sourit, lui serra la main. '' Lipkin. Je ne sais pas quel poste j'occuppe ici mais comme ça paye bien... "
L'argent, le bonheur de tous.
... Oui, bon, ce n'était peut-être pas en temps normal la chose à annoncer joyeusement à la secrétaire -euh, pardon- babysitter du sous-directeur, mais après tout Luo n'était pas normal; et elle non plus d'ailleurs. Alors disons qu'entre personnes bizzares, elles se comprenaient.
" J'trouve ça génial, n'empêche. J'peux t'appeller Jeanette? ''
Un temps.
'' Luo, j'veux dire. ''

Parce que oui, le rêve est quand même bien supérieur à la lucidité, dans ce bas monde, même si notre petite Juliette avait pu vaincre les lois du subconscient un court ins=tant.

" Avant que la guerre des brocolis débarque, que tu vois mes p'tits secrets ou que j'fasse un cauchemard, tu veux pas me tuer?'' (demander si gentillement, elle ne pourrait refuser.) '' C'est cool, les rêves, mais pas pour les conversations. Surtout dans ma tête en fait. Tu risques de croiser des mecs flippant en haut de forme ou des poissons chats mangeurs d'hommes - enfin, si super casquette ne s'ramène pas. " Silence. '' Mais toi tu dois t'y connaître en casquettes,toi, t'as une tête à porter des casquettes. '' continua t-elle de la mine de celle qui est super convaincue de ce qu'elle dit. '' T'vois lui il est plus à haut de forme puis il a le sourire de chuky la poupée tueuse et puis il me fait flipper alors j'fais des cauchemards, casquettes ou non. ''
Silence. Juliette cligna des yeux.
'' oui, bon, tue moi si tu veux pas que je continus et que j'commence à cauchemarder. "

Luo se mit à rire et aussitôt, comme si c'était tout à fait naturel, une arme se matérialisa dans sa main avec un nuage de fumée verdâtre qui sentait le souffre - c'était mieux que rien. La gamine était vraiment étrange. Drôle et étrange. En général, les rêves rendent un peu les gens bizarres, mais celle-là avait une façon toute particulière de prendre les choses avec naturel et de les déballer qui la faisait rire. Elle serait bien restée un peu plus longtemps dans le rêve, indiscrète comme elle était, pour peut-être essayer de croiser ce monsieur à haut de forme qui la faisait tant flipper et lui caler un coup de pied retourné dans la face histoire de voir ce que ça faisait, mais Juliette réclamait qu'on la tue, et n'ayant jamais tué personne, elle se dit qu'elle n'allait pas se refuser cette expérience enrichissante.
Elle leva le flingue et le pointa vers le front de Juliette, celui-ci l'effleurant, à quelques millimètres près, et fit une moue parce qu'il avait vraiment une tête bizarre, ce flingue. Sans doute parce qu'à part dans des films américains à gros budget, elle n'avait jamais vraiment vu de vrai un flingue. Il faudrait qu'elle se renseigne, c'était quand même important si elle avait à s'en resservir. Elle le remua un peu, comme pour voir si Juliette suivrait son regard - un peu comme un chat et une pelote de laine en fait - bref.
" Tu n'as qu'à t'imaginer que ça ne fait pas mal et ça ne fera pas mal, je suppose. Tu as l'air de pouvoir relativement bien contrôler tes rêves alors ça ne devrait pas être trop dur " conseilla-t-elle avant d'enlever le cran de sécurité d'un geste qu'elle espérait classe et d'appuyer sur la détente. Histoire de faire réaliste, il y eut un petit recul et la balle alla se ficher dans le front de Juliette qui chuta, mais il n'y eut pas de sang, juste une grande fleur verte qui poussa à l'endroit de l'impact. Luo fronça les sourcils et remua du pied le cadavre, mais elle avait l'air bien morte, tandis que la fleur grandissait, grossissait, que ses ramifications s'avançaient le long du corps de la gamine, et bientôt elle eut le corps recouvert de bourgeons sous l'œil perplexe de Luo. Soudain, ils s'ouvrirent tous - puisque c'était Luo, ces fleurs étaient violettes, vertes, bleues et roses, et leurs pistils avaient une étrange couleur dorée - et un instant plus tard, elles se fanèrent toutes, tombèrent en poussière, et le corps de Juliette avec elles. Luo, plantée près du petit tas de poussière, fixa le lieu du crime un instant, l'air de ne pas comprendre dans quelle contrée reculée de son cerveau elle avait pu piquer cette idée, vérifia le canon de son arme qui la regardait gentiment, et un instant plus tard, se sentit comme aspirée par derrière et se retrouva assise sur une chaise en plastique au milieu de la cafétéria.
Elle lâcha la main de Juliette, se redressa en grommelant, s'examinant et examinant les alentours. Point de flingues, de fleurs ou de type en haut de forme. Elle était réveillée, en un morceau, et à côté d'elle, il y avait Juliette qui se réveillait aussi, plus lentement, parce qu'à la base, elle était quand même un être humain normal, elle. En fait.
Elle ébouriffa ses cheveux bleus et regarda la gamine avec un pauvre sourire.
" Je t'ai pas trop fait mal? " demanda-t-elle en guise de salut.

Elle su qu'un court instant avant la détonation, elle eu peur.
On a toujours peur quand on a flingue braqué sur nous, même quand il ne ressemble à rien, même quand tout est prévu. Elle se rappella d'un cris imaginaire qu'elle aurait pu pousser et la pensée d'être comme l'innocente victime frappé par la fée carabine de ce cher Pennac, transformée en fleur. En fleur. Elle aurait quand même préféré un cactus, au moins c'est plus pratique: On a moins peur quand on est un cactus. Mais cette sale fée conteuse princesse des pêches de Luo l'avait tranformé en Fleur!
Luo.
Oui, oui, Luo, Luo, sa conteuse, la voyageuse des rêves!
Un rêve.
Oui, un rêve, un rêve! Elle avait donc fait un rêve, et elle avait rêvé d'elle petite... Petite? Oui, toute petite et caprécieuse qui réclamait, qui réclamait... Et Isabella? oui, il y avait eu Isabella aussi.
Et maintenant, que restait-il? Juliette redressa la tête, passa une main sur ses yeux, ses cheveux, releva le nez, regarda Luo.
Et vite, vite, sans s'éclaircir sa gorge un peu cassée par le sommeil, sa bouche sèche, sa tête chavirante, elle récita comme si sa vie entière en dépendait:
'' Verre, larmes, étoiles, fauteuil, conteuse, Isabella, Luo, Grande, Luo, rêve... "
Et frappa la table du poing. '' Merde! Ca s'en va, j'me souviens presque plus!"

Luo rit à nouveau, d'un petit rire surpris, et regarda la gamine lui débiter le cours du rêve comme si sa vie en dépendait. Comme si l'oublier était la chose la plus grave qui puisse lui arriver. Elle secoua la main devant les yeux de Juliette comme pour la réveiller tout à fait et remarqua seulement à cet instant les rayures bleues et blanches qu'elle s'était faites sur les ongles - si elle en oubliait même ses manucures, c'était qu'au fond ce rêve avait du être quand même sacrément important.
" C'est bon, c'est bon, arrête de stresser! Moi, je m'en souviens, du rêve. Je peux te le raconter si tu ne t'en souviens plus " sourit-elle avec son sourire de madame gentille qui offre un bonbon à un gamin. Pas un sourire condescendant, non, juste le sourire de quelqu'un qui est content.
Elle était contente que Juliette accorde de l'importance aux rêves. Les gens devraient rêver un peu plus. Ça les décoincerait. On s'ennuie moins avec le monde réel quand on sait qu'on en a un autre, disponible à tout moment, derrière les paupières. C'était l'opinion de Luo - de Luo qui n'avait jamais rien compris à l'économie, à la politique, et de manière générale à toutes ces choses compliquées qui servent à gouverner le monde, et qui jugeait en la plupart du temps toutes ces choses futiles. La philosophie de Luo, c'était que tant qu'on l'on pouvait dormir, y avait de l'espoir. Bon, ceci est une version un peu simplifiée, mais principalement, c'était ça. Pas qu'elle nie les charmes du monde réel - mais les rêves, vous comprenez...
Bref. Elle avait toujours son sourire de dame gentille.
Elle attrapa ses jambes et les souleva pour s'asseoir en tailleur sur sa chaise, soufflant sa mèche de cheveux, puis après un froncement de sourcil, sortit une pince à cheveux en forme de pomme de sa poche et la piqua dans sa tignasse pour lui permettre de voir correctement.
Elle réfléchit un instant, puis, se rappelant d'un détail particulier du rêve, fronça les sourcils.
" D'ailleurs! Isabella. C'est bizarre comme histoire, ça. Alors comme ça tu connais une Isabella Lisbeth Rosaline de la Fontaine dans la réalité? C'est que c'est pas courant comme nom, ça - et que j'étais persuadée de l'avoir inventée. " commença-t-elle en regardant la gamine qui lui faisait face, se demandant quel lien bizarre pouvait bien exister entre elles deux.

Se frottant un peu les yeux, tirant sur ses manches pour que disparaissent ses mains, Juliette bailla, comme pour revenir à un rêveil normal, et baissa le nez sur son mug inutile en se demandant ce qu'elle pourrait bien faire de lui et de son thé froid et trop infusé.
" Isabella?... Hm, on s'est connu à une sorte de pension ou on a été toutes deux envoyées, au milieu de notre scolarité. En fait on partagait la même chambre. C'est bizzare que tu penses l'avoir inventée, comme ça.... "
Juliette eut un sourire, et l'adressa à Luo.
" Surtout avec le don qu'elle a. Elle créait des illusions. C'est pour ça que te voir pouvoir voyager dans les rêves ne m'ettonne pas. Je suis habituée à... " Elle haussa les épaules, balaya la phrase de la main. '' Pleins de trucs bizzares quoi. '' Et laissant planer un temps, reprit. '' Rêves et illusions, ça se rejoint un peu. "
Si Luo et Isabella se rencontraient, elles deviendraient surement amies. Elles avaient quelque chose en commun, en plus de leurs dons. Et puis il y avait le conte de Luo, aussi... Ce serait interressant de voir du côté d'Ill'. Et surtout de voir si il y a une explication logique à tout ça.
'' Elle se faisait appeller Ill'. '' rit un peu Juliette, calant son dos contre le dossier de sa chaise. '' C'est drôle de repenser à tout ça! ''