'' Alors le cochon dinde?
- Le museau est magnifique, mais le dos encore un peu pointu.
- La prochaine fois il sera parfait.
- Je te fais confiance, George. "

Son talent, c'était les origamis. Sa moyenne de création était d'1, 3 par minute et il offrait à Juliette un bon tiers de son zoo miniature que la jolie demoiselle conservait en riant de bon coeur dans un tiroir entier, mettant les plus beaux en évidence sur son bureau Ikea.
Aaah, sacré George... S' il avait une bonne vingtaine de kilos en moins et la tête de Jude law, elle se serait bien jeté dans ses bras, mais non, George n'était pas un beau gosse, loin de là. En fait, il n'y avait pas tellement de beaux gosses, à la Waldon , sauf quelques perles qu'on croisait comme ça dans un couloir, bavant du café devant leur visage d'éphèbe et leur torse d'homme, - de vrai homme -, mais les perles étaient dures à croiser. Ce qui faisait toute la magie de la chose, je vous l'avoue. Oh bien sûr, on en croisait un régulièrement, ce sous-directeur qui sautillait presque dans les couloirs, fuyant sa secrétaire, renversant Madeleine derrière la photocopieuse ou laissant un french kiss sur les lèvres brillantes de Carlota. Mais lui, Juliette ne l'aimait pas. Ne me demandait pas de raconter la chose. C'est pas intéressant.
Chose étant que George et origamis à admirer mis à part, Juliette s'ennuyait ferme. Et rejouait pour la 46e fois de la matinée un solitaire, comptant ses cheveux, louchant sur quelques photos qu'elle avait affiché sur son pan de mur, photos de famille, clichés d'amis de ses années pension, dessins de son jeune frère, appelant encore Isabella en retombant encore sur le répondeur, encore et encore. Fichue Isa. Pas foutue de pas être en cours un Lundi matin, quoi.
Et Juliette soupirait et soupirait encore, comme toujours.

'' Et y'a même pas internet, entreprise de merde! '' lacha t-elle enfin en s'étirant comme un chat de tout son être, baillant avec mollesse.
Et oui, elle aurait du s'en douter. La vie de bureau, Waldon ou pas, était vraiment très chiante.

[ De très mauvaise qualité mais j'ai un peu de mal en ce moment > < En esperant que ça t'aille! ]

( c'est très bien xD )

Alors voilà. J'y suis. Quand j'y pense, il m'est vraiment arrivé des trucs dingues, en deux ans. Je crois que c'est mon destin d'aller d'un endroit à un autre sans jamais me fixer, mais parfois, c'est un peu fatiguant. Enfin, j'ai mon carton sous le bras et un petit mot de la direction dans l'autre main. Depuis que je suis arrivé à Londres j'ai dormi plusieurs fois sous les ponts. Je commence à bien connaître l'underground de la city. C'est cool, remarquez, je saurai vers qui me tourner quand je serai mis à la porte. Pessimiste? Pas du tout. C'est juste q'Uranus est dans l'alignement de Vénus et... Enfin, un truc de juif. Cherchez pas à comprendre.
On était trois clochards compagnons d'infortune à se serrer autour d'un grill improvisé, et tout le monde s'est mis à parler de sa vie d'avant. Moi j'évite, ou alors je m'invente des existences antérieures. j'ai été étudiant, garçon de boucher, et escort boy. Le pire c'est que j'ai vraiment exercé tous ces métiers, en plus. Je suis l'Homme multitâche. Et moi, eh bien... J'ai toujours gagné ma vie, d'une façon ou d'une autre, même en volant, et mendier, non non, e n'aime pas ça du tout. Et là, il y en a un qui a lâché cette bombe :
' Il paraît... Qu'il y a une entreprise... Elle ne demande aucune qualification mais c'est très bien payé... '
Et tout le monde ' ahmagad, mais ça consiste en quoi? '
Et il ne savait pas, le bougre, et tout le monde a conclu que c'était une simple légende urbaine. Mais ne pas sous estimer le juif patient et poussé par l'appât du gain... - ici, insérer rire diabolique -
Enfin, j'y suis, comme dirait Nevers. Buen, buen, le bureau 120... Bon sang, que c'est moche, tous ces box oranges...

" Et y'a même pas internet, entreprise de merde! "
Ach. Sie kannt deutsch. Une compatriote. C'est ptête un genre de signe. Alors je prends une grande inspiration, comme un grand garçon que je suis, je me dirige vers la jeune femme, c'est fou, de dos, on dirait un peu Juliette! Mais non, il ne faut pas non plus penser à Juliette. Aucune chance que ce soit...
' Bonjour, mademoiselle. Excusez moi, je suis allemand et je suis perdu '

Good lord of Mercy, cette voix, elle l'aurait donnée en mille...
Mais non, espérer aurait été une chose stupide et même insensée.
Israel ne serait jamais employé à la Waldon. Il devait voler quelque part en Europe de l'Est, vivant sa vie bohème de juif solitaire, au bras d'une donzelle au cheveux couleur soleil qui lui sussurerait des mots doux dans l'oreille... Enfin, c'est comme ça qu'elle le voyait en tout cas. Souvent, à ses heures perdues, elle s'amusait à inventer la vie actuelle de son ancien camarade de mauvais coups, ami, et grand-frère alternatif de coeur (lolilol mdr' xpxdx3), comme elle jouait à essayer d'imaginer Isabella se débauchant dans les soirées mondaines du grand Paris. c'était son jeu le plus divertissant. Parfois, elle racontait les fausses aventures de ces deux amis à Marguerite, la française du bureau 104 par intermédiaire de Juliette Airlines, sa compagnie personnelle d'avions en papier.
La vie de bureau avait donc quelques avantages: glandouiller et penser.
Ceci étant que Juliette, en bonne employée-stagiaire qu'elle était, poussa sa chaise du pieds pour la décollée un peu et penchant la tête en arrière pour apercevoir le nouveau. Un allemand? Gloire! Ils pourraient échanger des souvenirs de jeunesse perdue!...
'' Toujours là pour mes compatriotes. Vous désirez? '' articula t-elle dans sa langue de naissance, avant de regarder franchement le type.
Et de se rétamer en arrière.

J'ai pas eu le temps de réagir. Douleur aiguë dans les deux tibias. D'après mon autodiagonostic, je dirais... Hématomes géants et arnica en perspective. J'aimerais pouvoir dire que je suis resté stoique et droit et raide comme un buste aryen, mais pas du tout, j'ai poussé un cri rauque ( néanmoins viril ). ça fait mal, une chaise.
ça devait arriver, aussi! Quelle idée de se pencher en arrière comme ça! Et puis quoi, mon visage est trop répugnant, c'est ça, elle a eu peur? Tsss...
Bon, je suppose qu'il ne me reste plus qu'à tomber à genoux comme le chrétien en pénitence et l'aider à se relever et toute la procédure.
" Heu... Vous allez bien? "
Elle est maigre. Elle s'habille n'importe comment. Elle a pas de poitrine. Je jurerais que c'est Juliette. Mais ça n'est pas Juliette. C'est bête, d'un coup je n'ose pas regarder. Alors je me penche, très très doucement, elle est toujours sur le dos, cette bourrique. Hum. Revenons à nos moutons, je me penche, jusqu'à pouvoir fixer son visage et...
" Ow. "
Se relever. Partir. Ce que tu as vu n'est pas Juliette. C'est son fantôme qui vient t'emmerder jusqu'en Angleterre. La vraie Juliette est en train de croquer des sucreries quelque part dans son grandiose château en Bavière. Elle pense à son fiancé, le beau Charles Henri, qu'elle épousera l'été prochain, si Dieu le veut, et si les notaires se mettent d'accord.
Ou alors, elle a retrouvé son japonais, ils vivent une passion torride et elle est enfin devenue une vraie femme.
Je ne sais pas quelle version je préfère.
Bref. Je me relève tel le noble juif, et je suis en train de... prendre la fuite? Point du tout mes amis. Je dois juste trouver mon box. Cette... fille ( puisqu'il ne s'agit PAS de Juliette ) se relèvera toute seule.
Haha.
Ha.
Hahahaha.

Elle le fixa.
Comme une ahurie.
Les quatre fers en l'air.
Des mèches dans les yeux et la bouche.
Sa provision de sucettes éparpillées sur le sol.
Chaise renversée.
Et bouche béante.
'' Att- "
Sur le coup, elle ne comprit pas. Je crois même que dans son esprit, sa première réaction fut de penser que c'était qu'un sale goujat, et qu'il méritait juste de se faire rosser comme il faut. Mais d'autres pensées plus brouillonnes la submergèrent et elle resta encore quelques secondes figées ainsi, étalée de tout son céans à même le sol, avant de retrouver usage de ses membres, de se relever, de choper un des dossiers vides et inutiles qui encombrait son bureau et de le balancer sur le crane du nouveau.
'' ISRA TU R'VIENS ICI TOUT D'SUITE! ''
C'était lui.
Ça pouvait pas être quelqu'un d'autre. Et si c'était pas lui, elle s'en foutait. Il n'avait qu'à la relever dans les formes.

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Ha. C'est elle donc.
Remarquez, ça ne m'étonne même plus. Toujours ce fichu karma...
Alors, je me retourne très lentement, comme dans les films. Avec un genre d'effet cinématographique et une musique intense en fond sonore, et pourquoi pas Letters From the Sky, la bande son de ma vie? Et les spectateurs ont tous les souffle coupés, ils attendent que je dise un mot, que je fasse un geste, quelque chose de fort mais doux à la fois, voyez la contradiction.
" Juliette? "
Original, je sais.
Bien sûr que c'est Juliette. j'ai tout de suite su que c'était elle. Là tout de suite, je rêve d'une plage sur fond de coucher de soleil majestueux, on pourrait courir l'un vers l'autre en vagissant nos prénoms et en se serrant très fort, et à la fin y'aurait le générique avec l'hymne américain.
Je crois que ça n'est pas pour tout de suite.
" Je suppose que c'est le destin " - haussement d'épaules.
Non, ça n'est pas... J'aimerais dire quelque chose de plus... Faut que ça fasse pleurer dans les chaumières, enfin!
Je m'apprête à tourner encore les talons. C'est ce que je fais. Deux pas, et puis :
- ...
...
JULIEEEEEEEEEEEEEEEEEEEETTEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE.
C'est ce qu'on appelle un Epic Fail?
Je suis faible face aux petites filles.

Et là, elle se mit à rire.
Oui, à rire, carrément. Du petit rire nerveux et joyeux de la fille qui hallucine totalement mais qui est contente quand même. Après tout, elle n'allait pas pleurer non plus! Alors, bah elle riait.
Si vous lui demandez ' mais pourquoi ris-tu, brave Juliette, alors que c'est une scène d'intense émotion que tu ne vivras peut-être qu'une fois dans ta vie? ' elle vous répondra ' et ta mère? ' mais je pense personnellement qu'il vaut mieux rire un bon coup si on veut pas s'étouffer avec trop de joie, de nervosité et de surprise. D'ailleurs, je suis sure qu'elle pense ça, elle aussi. Elle est un peu comme moi, la petite Juliette. Elle aussi elle aime les pensées métaphoriques.

Juliette rit, et peut être devant toute la Waldon Corporation au grand complet, fit un pas, et un autre, et se jeta littéralement sur Israel, comme dans les films, mais sans se casser la gueule et sans lui péter le nez. Bon, elle aussi elle aurait bien voulu courir au ralenti en criant de tout son corps et de toute son âme ce nom absurde, mais ce saligot d'Israel ne lui avait pas laissé de temps et avait prit trop d'avance dans sa course.
Et Juliette riait.
" ISRAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA! " cria t-elle quand même pour faire bonne mesure, s'accrochant à son cou comme si sa vie en dépendait.
'' TU M'AS MANQUEEEEEEE! "

Mais toi aussi tu m'as manqué, andouille.
" Tu m'as manqué aussi ".
J'ai essayé d'avoir une belle voix grave mais ça tremblote un peu. Pathétique.
" Il était dit qu'on passerait notre temps à se séparer et à se retrouver ".
Et je me fiche éperdument des 75 paires d'yeux qui nous scrutent par dessus les paravents. De loin, on doit un peu ressembler à des amoureux, Pamela et Jack qui se retrouvent après une séparation d'environ 25 ans, Pamela a à peine vieilli.
" Mince! ça fait, quoi? Deux an? T'as vraiment pas changé! T'es toujours aussi... "
Hahahahaha. Juliette ne pouvait décemment pas se développer autant qu'elle aurait du. C'était contraire aux lois de la nature. Et puis, ça la fout mal, imaginez, il revient un deux plus tard et la gamine est devenue une plantureuse jeune femme. Je serais sans doute tombé amoureux! ça ne colle pas du tout. Je suis promis à une fin tragique et désespérée loin des miens et délaissés des femmes.
" Aussi... Tu as fait quoi pendant tout ce temps? "
J'aimerais bien demander ' et elle devient quoi, Isabella? ' comme ça, négligemment. Mais je n'en ai rien à faire d'Ill. Rien du tout. Rien du tout du tout du tout. Alors je ne poserai pas la question.
' Et, tu as retrouvé ton Amant Perdu? T'as des caramels en stock? Tu veux pas me faire encore un câlin? j'ai 36 000 questions existentielles à te poser, Miss Haribo! "

Elle se redressa, lacha son cou, sourit, et tout d'un coup c'est comme si ils s'étaient vraiment retrouvés, les deux crétins qui faisaient la chasse aux emmerdes dans les couloirs sans fin de la pension Lutwidge, à piquer les réserves à la cantine, à transformer le bureau du prof de Maths épileptique en oeuvre d'art conceptuelle, à finir tous les mois en colle et dans la fameuse salle d'isolement que Juliette avait par les années finit par apprivoiser.
C'était triste de penser qu'à présent ils étaient juste deux misérables stagiaires dans une entreprise à la noix, à ne plus pouvoir mettre des barettes Hello Kitty dans les cheveux d'Isabella et faire des avions en papier avec les papiers officiels de la dirlo'. A être deux adultes qui ne savent pas quoi faire de leur bras.
Je suis sure que Kyo ou Saez auraient pu faire une très belle chanson sur tout ça.
" Je suis sure qu'il doit me rester deux trois caramels dans mes poches de manteau, j'te fais un câlin dans cinq minutes le temps de me remettre de toutes ces émotions, je ne deviens rien et je n'ai rien fais pendant deux ans.. '' commença t-elle, vaguement amusée, avant de sembler un peu moins convaincue dans son sourire. '' Et non, pas vraiment de nouveau du côté de... ''
Geste de la main.
'' On se comprends. ''
Puis elle s'illumina de nouveau, lui adressa un sourire de crocodile.
'' Ah, si, j'ai vu Isabella il y a quelques temps. ''

" Ha. "
Non. Mon estomac ne vient pas du tout de faire un salto.
" Et... - air dégagé et indifférent - comment va-t-elle? "
Haaaaa, cette chère Ill. Chère chère Ill. J'espère que tu es devenue obèse et que tu es caissière au marché U. J'espère que tu es obligée de passer ta vie pendue au téléphone rose pour payer ton loyer. Hum. pas très probable. Isabella est sans doutes devenu une belle jeune femme. Elle a enfin un peu de poitrine, mais pas trop, faut pas rêver. Ses robes sont plus courtes, pour le plus grand bonheur de ses copains idiots qui essaient de la...
Non.
Non non non non non.
Elle est restée pure et aujourd'hui elle vit dans la paix du Christ dans un couvent dans les Alpes. End of the story.
Je passe ma main sur mon menton. J'ai encore oublié de me raser ce matin. D'ailleurs, il n'y a pas que ça que j'oublie. Dormir, me nourrir, j'aimerais bien, mais comprenez, j'ai pas le temps...
" On devrait peut être bouger non? Ou se donner rendez vous ailleurs? Je viens seulement d'arriver, c'est pas sérieux de ne pas me présenter à mon bureau... "
Haaaa. D'un coup, j'ai envie de faire un gros hug à la première personne qui passe. C'est marrant, le destin, parfois. C'est grand l'Europe, c'est grand Londres, combien de chances pour que j'entende sa voix à elle au moment où je passais devant son box. Dios mio, dire qu'on aurait pu travailler des mois dans la même entreprise sans même se croiser! Le hasard, c'est fou. Parfois, je jurerais qu'il y a quelqu'un derrière toute ça qui tire les ficelles et me balade où bon lui semble. Mais enfin, j'imagine que vous préférez que je garde mes théories métaphysiques pour moi.