Son souffle faisait des petits nuages de fumée qui se transformaient en oiseaux blancs avant de disparaître, juste devant son nez, alors qu'elle respirait, les yeux levés vers l'armature métallique du quai. Des petits flocons très doux tombaient et mourraient immédiatement lorsqu'ils se posaient sur ses joues ou ses paupières comme de la crème glacée, ou se posaient avec un chuintement silencieux sur une légère couche de neige craquelée qui recouvrait déjà le sol glacé. Les mains serrées dans son manchon de fourrure, elle regardait le ciel noir d'encre où les volutes de fumée de la locomotive évoluaient comme celle d'une cigarette. Au loin, vers l'est, on pouvait deviner les toutes premières lueurs d'une aube qui serait longue à venir. A côté d'elle, un immense réverbère tachait de lumière le sol. Un grand fracas de trains. Le roulis des bagages. Le bruissement des centaines de pas qui se pressent vers le chef de gare, le claquement des aiguilles de la grande horloge qui égrenne les secondes au goutte à goutte. Un léger filet de buée s'échappant de ses lèvres entrouvertes, elle admira l'architecture fine et ciselée qui avait jailli de l'esprit de John. Il était donc capable de créer autre chose que des résidences secondaires en bord de mer - tiens, pour un peu elle en aurait été jalouse. Elle en avait peu souvent rêvé, de cette scène-là, à vrai dire elle ne s'était jamais dit que c'était si beau une gare sous la neige.
Ses pieds étaient solidement engoncés dans des bottes fourrées et elle fit quelques petits pas circulaires pour examiner les alentours, peut-être pour trouver quelque part la tignasse décoiffée de John Rose. Un grand manteau brun la protégeait du froid et ses collants de laine ne dépassaient que de quelques centimètres entre les bottes et le manteau. Elle n'avait pas froid. Ses doigts remuèrent dans le manchon de fourrure. Ils devaient être quelque part dans le passé pour qu'elle soit vêtue de cette manière et elle se demanda brièvement qui d'elle ou de John était le créateur des vêtements qu'elle portait, mais déjà elle voyait John, à l'intérieur de la gare, le nez vers les immenses vitres, fixant les flocons qui tourbillonnaient et se collaient à la vitre. Il portait une très grande écharpe et un manteau, lui aussi, et seuls ses cheveux blonds ressortaient dans la lumière des becs de gaz, au milieu de la grisaille des passants. Elle sourit un peu et s'avança vers lui à petits pas, jetant un oeil à la gare autour d'elle. Chaque infime détail respirait la nuit, la neige, l'hiver. Comme une toute petite boîte à musique minitieusement réglée sur 'douce nuit'. Un train siffla, près d'elle.
Lorsqu'elle arriva près de lui, en face de son banc, John ne releva pas la tête il fit juste de sa voix d'enfant 'Il manque uen bande son, tu ne crois pas Luo?' alors qu'il ressemblait tellement à un adulte, comme ça. Elle souffla pensivement dans les airs, il lui sembla que dans devant elle s'agitait une nuée de colibris argentés.
" J'aime bien le bruit de la gare " fit-elle après un silence. " Mais je verrais bien une petite chanson des années trente, peut-être. Marlene Dietrich... "
Elle sifflota l'air de la chanson de l'Ange Bleu et s'assit aux côtés de John. Elle sifflait très mal alors elle s'arrêta, et reprit, avec un accent très moche mais une assez jolie voix :
" Ich bin von Kopf bis Fuss auf Liebe eingestellt... " S'arrêta. " Non? "

" C'est une déclaration d'amour, ça, Lewis? "
Il releva le nez, fixant pensivement sa secrétaire. Dans ses rêves, il échappait à l'ivresse de l'alcool, il était droit, lucide, cohérent, presque. Malheureusement, personne n'avait jamais eu l'occasion de voir ce John là, John tel qu'il serait sans doute s'il n'était pas toujours saoul. Mis à part Ludivine, bien sûr. Mais Ludivine le nourrissait, le bordait, et s'assurait toujours qu'il ne mette pas ses doigts dans la prise, donc c'était un peu différent.
" Cela vous va très bien. " ajouta-t-il en désignant le manchon. " Je me demande combien on a du saigner de chinchillas pour confectionner ce truc mais vous êtes jolie comme ça. "
La fille d'Ipanema fusa de derrière un petit palmier, comme si un orchestre complet avait réussi à se cacher sous la plante en pot. La musique n'étais pas vraiment forte, mais elle était bien audible, et pourtant pas un des voyageurs pressés ne sembla remarquer qu'on leur jouait un air.
" Eh bien, Luo, ça n'est pas mal, non? J'espère que vous n'avez pas froid... "
Il se rapprocha un peu de la jeune fille et effleura sa joue avec la sienne, puis fit la grimace.
" On dirait un glaçon. Venez, venez, il y a quelque chose que je veux vous montrer... "
Il se leva, la prit par la main, puis la tira derrière lui sans regarder par dessus son épaule. Un vol de pigeon, effrayé par le bruit des trains, prit son envol, leurs ailes inquiètes balayant de petites mottes de neige qui maculaient le sol de marbre.
" Ha, c'est là. " roucoula John avec satisfaction, avant de la faire passer devant lui pour qu'elle puisse admirer cette nouvelle création de son esprit.
Il attira sa secrétaire à lui, enfonça les mains dans les poches de son manteau, un beau manteau d'ailleurs, sa mère en avait un tout pareil, c'était celui qui avait servi de modèle pour habiller Ludivine; posa son menton dans le creux de son épaule, puis lui chuchota à l'oreille.
" Les français appellent cet endroit le train bleu. Tu n'y es peut être jamais allée, moi j'adore ce café... "
Les grandes vitres brillaient comme des phares dans la nuit. Les rideaux de velours pouvaient peser 15 kilos chacun, l'intérieur était un luxueux délire baroque, et tout était trop, beaucoup trop. Les lustres en cristal étaient trop grands, les fauteuils de cuir trop profonds, même le chat roux pelé sur la radiateur avait l'air prétentieux, et pourtant...
" Leur chocolat chaud est bon à se damner. Viens, ils viennent juste d'ouvrir... "

Elle frissonna lorsque le menton de John alla se nicher dans son cou, frissonna parce que lui aussi avait la peau glacée, et qu'on aurait dit qu'une petite perle de glace était allée se glisser au bout de chacune de ses mèches blondes coulant dans son cou. Elle pouvait presque sentir ses lèvres, un peu gercées par le froid, à côté de son oreille, et soudain une furieuse envie de plonger avec John dans les banquettes moelleuses du train bleu la prit - une envie de s'enfouir sous des couvertures de laine, des draps de lin, des monceaux d'oreillers en plumes, près d'un feu ou sous la lumière des becs de gaz, dans une chaleur enveloppante, fallait-il tuer tous les chinchillas du monde pour ça ; envie de divans indiens, de chambres drapées de tentures et d'une chaleur humaine contre elle, envie de John, tout simplement, de serrer contre elle ce grand machin blond qui dans ce monde-ci paraissait tellement adulte, tellement qu'il lui semblait avoir les épaules plus larges et le dos plus droit. C'était brusque mais ça l'avait prise comme ça, par surprise, au creux du ventre, sans qu'elle s'y attende, et elle se sentait presque fondre contre lui, dans son grand manteau de laine et ses mains glissées dans les poches.
Elle tourna un peu la tête vers lui pour que leurs joues se touchent - allez savoir pourquoi, elle remarqua juste que ses oreilles étaient froides.
" J'ai lu des choses sur cet endroit... Mais je ne l'avais jamais vu en vrai " fit-elle bas, comme si elle avait peur de déranger l'illustre café par sa présence.
Luo n'avait jamais voyagé. Elle avait suffisamment de voyages intérieurs à faire pour s'encombrer de ce qui se passait à l'extérieur. Paris n'était pas très loin, mais y aller n'avait jamais été une question dans la famille Lewis - et voilà qu'elle rentrait dans le rêve de John, et qu'il l'amenait à la gare de Lyon, dans un restaurant parisien dont l'entrée la moins chère devait coûter l'équivalent de son salaire mensuel. Et elle avait un bon salaire. Mais on était dans un rêve, après tout. John était sûrement le genre de personne à se dire 'tiens, j'irais bien au train bleu cet après-midi', à lui demander à elle - parce qu'elle était tout de même sa secrétaire après tout - 'Luo, vous me prendrez un train pour l'eurostar de trois heures' et à y arriver pour prendre un thé. Mais c'était aussi ça qui faisait son charme.
Elle se décolla comme à regrets de lui et, le nez levé sur les moulures et les décorations, pénétra timidement dans le restaurant, commençant d'enlever son lourd manteau d'hiver.

[ Je sais que je viens de ruiner toute mon argumentation du 'mais nooon, elle le considère juste comme un gamin' mais j'assume. Comment je pouvais m'attendre à ça moi >___< ]

Avant même que Luo ait pu finir d'enlever son manteau, un maître d'hôtel, la moustache impeccablement lustrée, surgit à l'angle d'un mur et se précipita sur la malheureuse secrétaire avec un air cruellement offensé. ' Mademoiselle, voyons, laissez moi vous aider à ôter vos vêtement, je vous en prie ', bafouilla-t-il, comme si la simple vision d'une cliente obligée d'accomplir une tâche aussi bassement ancillaire que se défaire de son manteau - comme l'aurait fait la dernière des domestiques! - le suffoquait.
John attendait tranquillement, les mains dans les poches, qu'on le débarrasse de ses gants et son écharpe, puis annonça avec un petit sourire énigmatique qu'ils désiraient s'installer dans le salon algérien. Il traversèrent les galeries dorées du train bleu, quelques voyageurs solitaires les fixaient un instant avant de se détourner ou se plonger dans la lecture du journal du matin.
Le salon algérien était très haut de plafond, avec de larges baies vitrées, et des fresques illustrant des scènes coloniales de chasses à l'éléphant et de conquêtes maritimes. Il y avait des fauteuils de cuir larges et profonds et délicieusement moelleux, et, que Ludivine se réjouisse, il y avait aussi de luxueuses couvertures pliées en quatre et déposées sur le dossier de chaque banquette.
" Boarf, j'aie envie de manger des croissants " soupira John en se laissant tomber au fond d'un deux places, sans gêne aucune. La tête renversée, il détaillait la tenue de Luo, sa robe fluide au sage col rond, si typiquement années 30, ses cheveux qui avaient retrouvé leur couleur naturelle, élégamment noués en un chignon un peu lâche, les perles en forme de gouttes a ses oreilles. Ses ongles et ses yeux étrangement normaux, pour une fois.
" Asseyez vous... - il désigna un fauteuil juste en face du sien - à moins que vous ne préfériez partager mon bout de banquette...? "
Il tapota la peau patinée avec un gentil sourire, bizarrement innocent. Oh, John, tu es tellement, tellement... Tellement DECENT, je ne te reconnais plus!
Le jeune homme se décala légèrement et déplia un couverture pour qu'elle s'y emmitoufle. Il n'était bien sûr pas question qu'ils partagent le même plaid, et puis elle n'aurait pas voulu, de toute façon.
Si seulement tu savais, John John...

Oh oui, c'est vrai, si tu savais, John John, comme Luo a envie de se coller contre toi et ta chaleur de chat qui passe son temps à se prélasser près du feu et se blottir sous le même plaid que toi, mais Luo est une fille décente, elle. Elle prit son plaid et s'installa convenablement près de John, tout de même, aussi parce qu'elle avait horriblement de mal à marcher avec ces talons - elle était petite, elle aimait ça, elle ne voulait pas d'échasses et n'en avait jamais voulues, les talons c'était pour les frustrées. Ou les bitches. Mais c'est autre chose. Elle décolla ses talons de ceux de la chaussure et les glissa en appuyant un peu en dehors de celles-ci, les laissant respirer à l'air libre, sous la table. Ce n'était peut-être pas très conventionnel, mais elle n'allait pas faire la demoiselle pour des personnes qui n'existaient même pas, en plus, parce qu'au fond ils n'étaient que deux ici en fait, John et elle. Elle et John.
Elle s'assit donc, pas trop collée à John pour pas avoir l'air de lui faire des avances quand même, mais pas trop loin non plus, je sais, c'est complexe, et arrangea les bords de sa robe noire. Elle n'avait pas l'habitude d'être si sage dans ses rêves. Elle était habillée de noir mais c'était pas le noir de la vie réelle, le noir délavé, c'était un noir aussi brillant qu'une couleur et qui prenait autant de place dans ses yeux. Robe noire, yeux noirs, cheveux noirs, peau blanche, ongles bien limés, collants juste ce qu'il faut de teintés, escarpins. L'élégance faite femme - selon les critères de John, du moins. Et puis le tissu était doux et glissait sur sa peau comme de l'eau, un peu rêche par endroits mais doux et fluide.
" La banquette ira bien " fit-elle en haussant les épaules pour expliquer son geste à John, avant de se tourner vers un serveur qui attendait patiemment ses ordres.
Elle réfléchit un instant, songea à ce qu'elle avait envie de commander, se demanda brièvement s'ils en avaient, puis se rappela enfin qu'ils en auraient forcément et demanda donc :
" Un chocolat chaud, avec de la chantilly et beaucoup de sucre, et une tartelettes aux fraises. "
On ne pouvait pas dire que c'était l'heure de prendre son goûter, mais qu'importe.

" Un thé et des croissants. Et le journal, si vous l'avez. "
Il s'étira comme un chat pendant que le serveur s'éloignait à reculons, parfaitement impassible. Le jour aurait déjà du être en train de se lever, mais John, qui aimait les longues nuits d'hiver, se jouait pour quelques heures des lois de l'astrophysique, On était dans son rêve après tout.
" Mon père nous emmenait toujours ici, mon frère et moi, chaque fois que nous allions à Paris. Herbert trouvait ça ennuyeux. "
Le chat roux qui les fixait entre ses pattes sur le radiateur s'étira, sauta à terre, laissant glisser sa queue le long des tables et des fauteuils. Il lança un petit miaulement étranglé puis se frotta contre les jambes de Ludivine, donnant de gentils coups de tête sur les bas de soie. Ses moustaches produisaient un crissement soyeux et John songea un instant à promener ses doigts le long du tibia droit de Luo, rien que pour le plaisir de sentir la caresse du tissus sur sa paume.
À cet instant, l'animal prit son élan et bondit sur les genoux de la jeune femme, enfonça sans ménagement son museau froid dans son cou blanc. John ne voulait pas s'avouer qu'il y avait sans doute un lien entre ses désirs inavouables et le comportement étrange du félin, puisqu'il avait décidé de toute façon de ne pas céder le premier. Il avait mâché la majeure partie du travail, à Luo à présent de prendre des initiatives. Il était fatigué de toujours être l'homme de la situation.
Le garçon de café revenait avec le chocolat, les tartelettes et le quotidien plié sous le bras. Il déposa la soucoupe de porcelaine en fixant Ludivine avec insistance et versa son thé à John sans même sembler remarquer sa présence.
Allons bon. Voilà que son inconscient faisait des siennes.
" Merci... " souffla-t-il distraitement en dépliant la page économique, pour se concentrer sur autre chose que le décolleté de Luo, dont il aurait juré qu'il était un peu plus large que quelques minutes auparavant.
Le journal était rempli de hiéroglyphes confus et il fronça les sourcils ; pas un des mots imprimés ne lui semblait familier, et pourtant il lisait le français. Allons, il pouvait sûrement faire mieux, il suffisait de se concentrer...
Il mordit dans son croissant qui avait miraculeusement surgi sur une minuscule assiette blanche, versa du lait dans son thé, puis jeta un coup d'œil oblique au chat qui se tenait sage sur les genoux de Lewis.
" On dirait qu'il vous aime bien. " commenta-t-il en s'appliquant bien à montrer que la chose lui indifférait, ce qui le rendait peut être encore plus suspect, si c'était possible.

Luo reçut le chat sur ses genoux sans vraiment de surprise et le laissa se nicher dans son cou avec un léger sourire au lèvres, ne se souciant que fort peu de sa tenue et des éventuels poils de chat qui n'allaient pas manquer de la recouvrir. Le chat promenait son insistante chaleur contre elle, les griffes rentrées à l'intérieur des coussinets pour ne pas la blesser mais l'effleurant à peine tout de même, les moustaches lui caressant le cou, le nez contre sa peau. Il se serrait contre elle comme pour se réchauffer, mais en gardant l'air de lui faire une faveur, avec cette dignité qui caractérise habituellement les chats, et elle ne pouvait s'empêcher de penser un peu à John dans son élégante insouciance - mais tout le monde sait que John est un chat, après tout.
Elle ne remarqua même pas le regard insistant du serveur, pour tout vous dire, Luo, si rodée à ses propres rêves, n'avait pas encore l'art de décrypter le subconscient des autres - subconscient qui se faisait pourtant fortement sentir à cet instant-là, et elle rit légèrement lorsque le chat appuya son menton contre sa joue comme s'il l'embrassait. Même son rire semblait plus élégant, dans l'atmosphère ciselée du cerveau de John.
" Je crois qu'il cherche de la chaleur " fit-elle à John en prenant le chat par les pattes pour l'empêcher de lui grimper dessus plus avant - pas qu'elle n'avait pas envie de se balader avec un chat sur la tête, mais bon - puis en prenant la tasse et la soucoupe qu'elle porta à ses lèvres comme si elle avait pris toute sa vie des thés dans des salons. Elle ne remarqua que quelques secondes plus tard le ton de John, et lui jeta un petit regard en buvant son cacao. John lisait le journal, John lisait d'ailleurs le journal dans une langue étrangère, John lisait même la page économie, je ne sais pas ce que vous en pensez mais cette triple réflexion plongea Luo dans une réflexion passagère. On était dans un rêve, il aurait pu faire quelque chose d'original comme élever un alligator ou écouter un concert des Klaxons mais non, monsieur Rose lisait la page économie du journal. En français. La logique faite homme, ce John.
Elle jeta un coup d'œil par dessus son épaule, tentant de lire les minuscules caractères. Il sentait bon. Dans l'air il y avait une odeur de vieux bois poli, de cuir, de poussière, de feu qui crépite et juste là, oui, tiens, du savon à la rose, étonnant. Et une bonne odeur de cheveux lavés.
" Vous y comprenez quelque chose? " demanda-t-elle avec curiosité. Certes, John venait d'une bonne famille, mais elle voyait mal un professeur réussir à inculquer une quelconque notion à monsieur Rose, alors apprendre le français...

" J'ai appris le français. C'est la seule chose pour laquelle je me sois montré brillant. " répondit-il tranquillement en tournant une page. " J'aurais pu apprendre le chinois ou l'allemand, un truc utile, quoi, mais le français ça fait plus chic lors des repas de famille, et... "
Il referma le journal, le replia et le jeta sur la table.
" ça t'étonne, hein, Luo luo " ronronna-t-il dans un français impeccable, en attrapant une fine mèche de cheveux qui s'était échappée du chignon, l'air de rien.
Le chat se roula en boule.
" Un jour, je reprendrai l'entreprise familiale... " continua John en laissant glisser un doigt dans le cou de Ludivine, de la base de la gorge en remontant vers la mâchoire lui faisant relever légèrement le menton, les yeux fixés pensivement dans les siens. " On ne dirait pas comme ça, mais j'ai quand même quelque connaissance théoriques en droit et en économie... Assez réduites, j'en conviens... "
Il s'approcha tout près, comme pour mieux scruter les traits de sa secrétaire, puis laissa retomber sa main comme à regret et se détourna pour regarder au travers de la fenêtre. Dehors, il y avait des diligences, quelques voitures pétaradantes, des réverbères qui fonctionnaient au gaz. John ajouta un petit Zeppelin dans le coin droit, quelques banderoles marquées du motif du marteau et de la faucille, un ou deux bustes de Staline par ci par là, même si c'était tout à fait anachronique.
" Alors je ne vous avais jamais parlé de Léomil, Ludivine? " souffla-t-il, l'air de rien, comme s'il ne l'avait pas impudiquement effleurée quelques secondes plus tôt. " Il m'a sauvé la vie dans une ruelle sombre, et depuis il est persuadé qu'il a des droits sur mon corps... Dites moi que vous ne laisserez pas faire ça... "

On aurait pu décerner un prix à John. Non, on aurait pu lui en décerner beaucoup, tous plus stupides les uns que les autres, mais celui auquel Ludivine pensait en cet instant c'était celui du changement de sujet le plus foireux, et il fallait dire que dans cette discipline il se distinguait particulièrement. Une seconde il était là, une de ses mèches entre ses doigts, tout près d'elle, il la regardait, il lui parlait, de choses affreusement banales mais d'un ton qui laissait penser qu'il lui faisait les propositions les plus indécentes, ses doigts effleuraient sa gorge et la seconde d'après il regardait par la fenêtre et conversait tranquillement du harcèlement sexuel d'un Léopold ou elle ne savait trop quoi - et dont dans tous les cas elle se foutait royalement. Ah, ça, au moins, il ne l'avait pas perdue, son inconstance - elle aurait dû y être habituée, c'était toujours comme ça, dans la réalité, un jeu de cache-cache perpétuel, des effleurements, des volte-faces, rien de précis, rien de solide - et pourtant, elle avait cru espérer que peut-être, dans ce rêve...
Mais non. Forcément. John avait fait sa devise de ne jamais être là où l'on pensait qu'il serait et s'y tenait admirablement bien. Un peu affaissée sur son fauteuil, dans une expression de lassitude ennuyée et une moue charmante sur le visage - cadeau, sans doute, du subconscient de John - elle remua sa petite cuiller dans le chocolat chaud, soulevant les bouts de chocolat qui se planquaient au fond pour les mettre dans sa bouche. Elle avait un coude posé sur la table et son menton dans le creux de sa main, l'autre, pliée, tenait du bout des doigts la cuiller ; elle regardait John qui regardait la fenêtre, et maintenant qu'ils étaient là, tous les deux, enfin, dans un rêves, et qu'ils pouvaient être tranquilles, et bien il ne se passait rien.
Frustrée, la petite Luo? Hé bien. Oui. Un peu. Juste un peu.
Elle amena la petite cuiller à ses lèvres et attrapa le chocolat à l'intérieur avant de l'enlever avec langueur, mais pas comme dans une pub haagen-daas, juste comme une fille normale qui mange à la petite cuiller. Elle n'avait pas envie de continuer cette conversation plus longtemps mais, diable, elle se voyait mal sauter sauvagement sur John et lui-même ne semblait pas tout à fait disposé à prendre l'initiative. Sale blond. Il avait des manies de femme dans cette envie de se faire désirer. Ou peut-être était-ce juste l'alcool.
Aussi, après un instant de réflexion, après avoir savouré le chocolat fondre sur son palais, sa petite cuiller à la main, le début des lèvres disparaissant à peine sous ses doigts, elle ouvrit la bouche et fit juste :
" Vous allez attendre encore longtemps? "
Ou comment tout dire ou ne rien dire en cinq mots. Ça paraissait peut-être bien entreprenant pour notre petite Luo mais maintenant qu'on était dans un rêve, autant en profiter, merde!

Il tourna la tête. Un peu surpris.
" Plaît-il? "
Se pouvait il que Luo, pardon, mademoiselle Lewis, la terreur de ses après midi oisive, soit en train de...
" Attendre quoi? " sourit-il entre ses dents comme un gros chat qui a vu un oiseau ( Un chat obèse. Il me semble important de préciser ' un chat obèse ' c'est tout de suite plus... Plus majestueux, non? )
" Vous voulez d'autres tartelettes? "
Bien sûr que non, Ludivine ne voulait pas d'autre tartelettes.
Il lui prit le chocolat des mains, en but une petite gorgée et se lécha les lèvres. Ils faisaient la paire, tiens.
Il approcha la tête lentement, avec cette petite moue satisfaite parfaitement irritante, avança un bras, sans serrer Luo, juste une main, comme ça, qui semble traîner un peu au hasard, pas vraiment décidée, un peu molle, un peu indolente, cette main. Il lui effleura les genoux, pensivement. Il était doué pour ça, donner l'impression de ne faire les choses qu'à moitié, sans vraiment les faire, en plus.
" Je vous trouve bien pressante, Luo. Vous allez un peu vite pour moi. Je suis un petit coeur pur. "
N'importe qui se serait étouffé. Sauf peut être Mrs Felton, qui avait l'âme tellement noire de toute façon que n'importe quelle pute ressemblait à un pape mort, en comparaison. Elle n'appelait pas John ' mon bébé ' pour rien. Être le ' bébé ' de quelqu'un ne dérangeait pas vraiment l'intéressé, même s'il se serait plus volontiers classé dans la catégorie ' 4-6 ans '.
Un autre serveur arriva, il ressemblait comme deux gouttes d'eau à Pierre Laval, et il y avait de petites croix gammées sur ses tartelettes.
" Je crois que mon inconscient a été parasité par les nazis et les communistes. " commenta John en fronçant les sourcils.

Elle lui en foutrait, des tartelettes, tiens.
Un chat obèse, oui, vraiment, c'était parfait comme image. Un grand sourire de chat du Chester qui se repait sur sa branche alors qu'il vient d'avaler l'oiseau. Pas difficile de deviner qui jouait le piaf dans cette histoire. C'était comme ça, mais qu'elle veuille bien l'avouer ou non, John l'avait prise dans ses filets et maintenant, c'était lui qui tirait les ficelles. Il s'était même si bien débrouillé que c'était elle qui en réclamait plus, à présent. Elle, Luo, l'innocente Luo, quoi qu'on en dise, qui aimait bien les poètes, les gentils garçons qui avaient les épaules assez larges pour qu'elle puisse y reposer sa tête, qui faisait bien son travail, avait des pantoufles en forme de lapin et regardait le téléachat le dimanche matin en pyjama en mangeant des danettes crousti-choco. C'était cette-même petite Luo qui regardait John, à présent, cette même Luo aux colorations improbables qui était à présent bien coiffée dans sa petite robe noire et promenait son élégance des années trente dans le rêve de John. Mais où allait le monde. C'était cette même petite Luo à qui John avait pris son chocolat chaud et qui le regardait maintenant se lécher les babines d'un air vicieux. Bon, de toute façon, John avait toujours l'air vicieux, mais ce jour-là encore plus que d'habitude, si c'était possible. Elle le fixa d'un air un peu mauvais. Non seulement il jouait au cœur pur, mais en plus, il lui piquait son chocolat.
Elle attira la tasse à elle en enroulant l'index autour de l'anse et la ramena juste devant elle. Sans en boire, mais juste pour montrer à John qu'elle récupérait son bien. Il n'avait qu'à se commander un chocolat chaud, quoi.
Il attendait sans doute qu'elle fasse quelque chose - c'était même le plus hautement probable. Il avait les cartes en main et attendait juste qu'elle abandonne pour lui montrer à quel point il avait gagné, elle le savait, et elle ne voulait pas entrer dans son jeu - et c'est ainsi qu'on fait poireauter un couple des mois durant dans un café juste à cause d'un peu de fierté mal placée, mes amis. Il aurait été simple, si simple, de se pencher et de l'embrasser, et il aurait vu ça comme un feu vert, mais non, cela lui aurait fait trop plaisir.
Na.
Elle saisit la tasse de chocolat et la porta à ses lèvres avec une grande dignité.
" Petit cœur pur, hein. Vous ne disiez pas tout à fait la même chose quand vous jouiez à saute-mouton avec Marlene dans la salle de la photocopieuse l'autre jour "
Je sais, c'est bas.

" Hein? J'ai fait ça, moi? "
Il pencha la tête sur le côté.
" Qui est Marlène, au fait? "
Il était très possible que... Mais enfin, il préférait faire ça au lit, vous voyez? Ou alors dans un fauteuil club en cuir très confortable, tiens, un peu comme celui sur lequel ils étaient assis, quel hasard...
" Ha oui. C'était un malheureux incident, Luo, vous devez me croire. Nous avons trébuchés l'un sur l'autre, il est fort possible que, dans le feu de l'action, nos vêtements aient glissé à terre, mais ça c'est fait contre ma volonté... Elle m'embrassait tellement que je n'ai pas pu crier, alors... C'est comme un viol en fait. "
Tout en bafouillant des bêtises, il se rapprochait, jusqu'à ce que leurs genoux se touchent. Avec une moue sensuelle, il posa la tasse de chocolat sur la table basse, un de ses genoux se glissa entre les jambes de Lewis.
Il prit tranquillement Ludivine par la taille, pour une raison mystérieuse ( pas si mystérieuse que ça en fait, c'est juste un effet de style ) la robe était désormais boutonnée sur le devant et Mister Rose s'attaqua aux quatre premiers boutons sans trop se presser.
" Joli soutien gorge. Très chic. C'est vous ou moi, ça? "
Il tendit l'index, caressa la clavicule, descendit lentement en suivant le relief moelleux du décolleté, détaillant les grains de beauté dans le cou et les épaules...
" Et puis non. Je ne voudrais pas vous forcer, miss. "
Il se détourna, lâcha la taille de sa secrétaire, s'enfonça à l'autre bout du canapé et commanda un café sans sourciller. Puis, avisant que la jeune femme était désormais débraillé, inclina le menton, les pans de tissus semblèrent animés d'une volonté propre, et se reboutonnèrent tout seuls.

Luo n'avait rien pu faire.
Si si, je vous assure.
Vous lisez ça, vous vous dites : mais quelle cruche cette Luo! Mais quelle aubergine que cette secrétaire aux cheveux moches et au sens esthétique inexistant! Si elle avait voulu conforter John dans l'idée qu'elle lui était indifférente, elle aurait du se dégager, avec une phrase classe et un mot assassin, si possible un geste de la main très sec ou même une petite gifle à la française et un 'je ne mange pas de ce pain là, moi, monsieur rose' du plus bel effet, ça aurait sûrement fabriqué du souvenir de râteau cuisant dans la mémoire de John et ça n'aurait sans doute pas fait de mal à ses chevilles, et puis c'était le but, non? Je te demande, tu arrives, je me défile, j'arrive, tu te défiles, je me défile, on s'éloigne tous les deux, on revient et on repart, c'était une très complexe chorégraphie et il fallait dire que cette fois-ci, Ludivine Lewis n'avait pas exactement géré le pâté, comme disent les jeunes de nos jours.
Elle n'avait juste rien pu faire.
A priori, John n'avait pas de don de magicien ou de potion de paralysie sur lui - mais elle n'avait juste pas réussi à bouger. Elle s'était pétrifiée soudainement, et malgré elle, malgré toutes les injonctions qu'hurlait son cerveau à ses hormones, elle n'avait pu empêcher un frisson de courir le long de son échine lorsque les doigts chauds de John avaient effleuré les boutons de sa robe - elle aurait voulu se dégager, histoire de lui montrer qui commandait la partie, mais le fait était que c'était finalement lui qui avait gagné. A partir du moment où l'on savait que, malgré tout ce qu'elle pourrait dire par le futur et toutes les manières différentes qu'elle aurait de nier, lorsqu'il s'était écarté d'elle, elle avait ressenti un profond sentiment de déception - à partir de ce moment il fallait se rendre à l'évidence. Elle avait perdu. Et ce n'était pas faute d'avoir essayé, hein. Mais l'on ne gagne pas à ce jeu là contre John Rose, il fallait croire.
Elle resta figée quelques longues secondes encore après que les pans de sa robe ne se soient comme par magie rattachés.
Elle avait perdu, mais ce n'était pas pour autant une raison pour se traîner à ses pieds en réclamant la suite - même en rêve, elle avait sa dignité. Un peu. Quand même. Et surtout, là tout de suite, elle aurait voulu prendre un sac, rempli de tous les dossiers que John n'avait jamais complétés et l'exploser, excusez l'expression, avec jouissance sur son beau visage d'ingénu blond - et bordel, ça aurait fait du bien, mais ça n'aurait peut-être pas été du meilleur effet.
Elle serra les dents. Prit son mal en patience, et pianota des doigts sur la table en bois, regardant dans le vide avec un genre de petite moue boudeuse dont on ne savait pas exactement ce qu'il y avait derrière. Étrangement, à ce moment-là, elle se retrouva avec un long porte-cigarette aux lèvres, à la Audrey Hepburn. Peut-être un moyen inconscient de se donner une contenance. Elle tira une petite bouffée de la cigarette.
" Disons que vous auriez peut-être pu demander avant " fit-elle l'air de rien, " si vous aviez si peur que ça de me forcer "
Elle expira longuement. Ca devenait légèrement ridicule, là, mais elle n'y pouvait rien.

Et quand bien même, Luo Luo, tu lui aurais décoché cette gifle assassine, John le sait bien, qu'il a déjà gagné. Du moment où tu as commencé à négocier avec lui, entre ces étagères, au lieu de prendre tes jambes à ton cou, tu as perdu. Il ne faut jamais glisser dans ces jeux là, jamais.
" Oh? Tu veux que je te fasse ma déclaration un genou à terre? ça ne te va tellement pas de fumer, Ludivine, tellement pas... "
Le porte cigarette de changea en fleur. Une longue fleur à grosse tige, rose violacée. Ludivine, une cigarette entre les dents, c'était inconvenant. Comme voir un petit enfant jouer avec un shoot de cocaïne. ça n'allait pas. Lewis elle... Elle prenait de la gomme à mâcher, elle suçait des bonbons, elle croquait des cookies et des sucettes. Et bientôt, sans doute, il aurait sa langue dans sa bouche, ça lui occuperait les lèvres. Elle était si adoraaaaaable quand elle était frustrée.
" Même pas un tout petit peu déçue? " lança-t-il en pianotant sur le cuir patiné.
Elle devait à la fois avoir envier de le tuer ET de lui sauter dessus, mais ça n'était pas incompatible. John aussi avait envie de se tuer. Il avait envie et que ça finisse et que ça continue, ces je t'aime moi non plus, il adorait ça. Et ça pouvait durer, oh! Tellement longtemps, s'il le voulait! Parce que c'était lui qui menait la danse, non? Si elle l'embrassait, elle perdait la face. Si LUI l'embrassait, il obtenait ce qu'il désirait de toute façon depuis le début. Face je gagne, pile tu perds. Bien fait si elle y perdait la tête. Ils seraient deux à ne plus trop savoir ce qu'ils faisaient.
John s'amusait bien, vraiment. Le chat ronronna de plus belle, se roula sur le dos, et il lui caressa le ventre avec un sourire attendri.

Le porte-cigarette entre ses dents se transforma en rose, mais cette rose avait des épines. John n'y avait pas pensé, sans doute. Il n'avait vu que la grosse fleur éclose au bout et pas les épines qui en parsemaient la tige. Elle la glissa d'entre ses lèvres, mais une épine lui effleura l'intérieur de la lèvre, et elle poussa un petit cri de surprise, laissant tomber la fleur qui se noya dans sa tasse, aussi étrange que cela puisse paraître. Elle porta les doigts à ses lèvres et avec un froncement de sourcil, y recueillit un soupçon de sang, juste à la commissure, à sa droite, là où les épines avaient fait une petite entaille.
Elle prit son mouchoir et s'en tamponna les lèvres, le sang imbibant le tissu blanc et léger en quelques secondes. Elle claqua de la langue. Il y avait un léger goût de fer dans sa bouche, un goût amer, comme si elle avait mordu dans du métal, et elle fronça les sourcils d'un air ennuyé.
" Et voilà, John, vous m'avez fait mal " commenta-t-elle doucement en essuyant une petite trace de sang sur sa joue, ignorant la question posée par le jeune homme quelques instants plus tôt.
Bien sûr qu'elle était déçue, la petite Luo. Bien sûr qu'elle était frustrée. Elle ne faisait que ça, d'être déçue et frustrée, elle devait être masochiste parce que ce n'était pas bien compliqué, mais un coup elle voulait et un coup elle ne voulait pas, elle s'emmêlait dans ses propres pinceaux, c'était malin tiens. Et maintenant, voilà qu'elle tachait son mouchoir. La tache de sang grandit, évolua, et se dispersa en circonvolutions rouges le long du tissu, dessinant des fleurs qui mouraient aussitôt, ce n'était pas possible qu'elle ait perdu tant de sang, c'était le mouchoir qui faisait des siennes. Elle regarda le chemin du sang le long de la dentelle, maintenant voilà qu'il dessinait des oiseaux. C'était joli, tiens. Elle le secoua, en dépliant les pans, et les minuscules oiseaux s'envolèrent. Elle sourit. Etait-ce encore John qui créait ces choses là? Ou était-ce elle?
Elle laissa à nouveau tomber le mouchoir sur la table. Il était de nouveau blanc, parce que tout le sang s'était envolé avec les oiseaux. Sa fleur trempait toujours dans la tasse. Elle passa ses doigts au coin de ses lèvres, y recueillit une tache de sang.
Non, elle avait décidé qu'elle ne répondrait pas à sa question.

[ désolée, j'ai fait un délire gmc/je suis fatiguée pour ce post, mais j'ai pas pu m'en empêcher, cette fleur m'inspirait. il est un peu étrange et sans doute mal écris, mais on va dire qu'on s'en fiche xD ]

John soupira. Elle ne voulait pas céder. Intéressant. Non, agaçant, en fait. Qu'elle arrête de se faire désirer, bon sang. Qu'elle baisse un peu sa garde. Elle n'y mettait aucun entrain. Aucune bonne volonté. Écoeuré, il se détourna. Un brune particulièrement séduisante lui faisait de l'oeil du fond du canapé d'en face. John n'avait pas souvenir de l'avoir vue entrer.
En désespoir de cause, il se replongea dans son journal. Les mots étaient redevenus lisibles, il y avait un fait diers, une histoire d'accident de voiture, de noyée au fond d'un marais, étrangement, tous les articles étaient signé du petit ' F ' tarabiscoté. Mrs Felton. Pourquoi diable pensait-il à...?
" ça n'est pas très gentil, ce que tu me fais là, mon ange. "
Le jeune homme se figea, les yeux fixés sur la troisième ligne de la page 7, une femme retrouvée morte dans le comté du Sussex, le comté du Sussex, le comté du Sussex, il relisait encore et encore et il avait peur de relever la tête, parce que cette voix était familière, et elle lui faisait toujours passer des frissons.
Olivia Felton, un plateau à la main, serrée dans un petit chemisier, l'air fermé et sévère, se tenait devant la table en bois patiné, mais elle ne semblait pas avoir remarqué Luo.
" - ça ne me dérange pas que tu t'amuses avec d'autres filles, mais Lewis...? Tu vas casser un autre jouet? Tu sais ce que j'ai dit qu'il t'arriverait, si tu t'approchais de Lewis.
Oui, John savait.
- Mais je...
- Silence, chien. "
Aïe. ça, ça ne sortait pas de son imagination. Ils avaient déjà eu cette conversation. Juste avant qu'elle ne le menotte à sa chaise, et... Mais il préférait ne pas y penser...
" - On ne fait rien de mal... " avança John d'une toute petite voix, une voix suppliante d'enfant qui a peur. Le rêve était en train de devenir un cauchemar. Les murs de la pièce se rapprochaient, la nuit semblait plus épaisse et même l'air avait quelque chose d'étouffant.
Le directeur adjoint secoua la tête.
" Rien de mal... Vraiment rien de mal... "




( désolée, c'est assez nul xD )

Aïe. Voilà qui commençait à sentir le roussi. Pas que la scène se passât excessivement bien avant l'arrivée de la grande dame aux cheveux noirs, mais elle avait au moins le mérite d'être dans ses cordes. Les asticotages avec John, elle maîtrisait. Enfin, elle commençait à connaître, ça restait dans le domaine de l'habituel. Mais pour Luo Lewis, n'importe quelle chose ayant trait à Olivia Felton tenait du surnaturel.
La directrice de la Waldon ne se montrait pas volontiers aux mortels et lorsqu'elle avait commencé à se prendre d'amitié pour Lewis, celle-ci n'avait pas vraiment compris ce qui était en train de lui arriver. Peut-être était-ce parce qu'elle s'occupait du protégé de la patronne - nul n'ignorait ce qui se passait entre Rose et Felton - mais Olivia avait dans tous les cas l'air de bien l'aimer. Après tout, les voies du Seigneur sont impénétrables ( et à la Waldon, le Seigneur c'était sans conteste Olivia ) et Luo elle-même, pas chiante, n'avait jamais vraiment essayé de comprendre pourquoi. Parfois, Olivia étalait ses longues jambes sur le bureau, faisant tomber ses escarpins noirs entre l'agrafeuse et le presse papier, et soupirait en s'éventant 'vous faites du bon boulot, Lewis'. C'était sans doute suffisant pour qu'elle lui plaise. Luo aimait bien Olivia. Si elle avait osé, elle serait sans doute allée jeter un oeil dans ses rêves, mais quelque part son sixième sens lui faisait penser qu'Olivia s'en apercevrait tout de suite, et aussi que ce qu'elle trouverait dans ces rêves serait sans doute apte à la traumatiser pour le restant de ses jours. Elle s'était abstenue, donc.
Mais voilà qu'Olivia Felton débarquait, là, comme ça, comme si c'était tout à fait normal d'interrompre un couple en plein dans ses préliminaires ( ces chamailleries, je suppose que c'est ce qui ressemble le plus à des préliminaires pour Luo et John ) au beau milieu d'un rêve, en plus. Et puis avec ses escarpins vernis claquant sur le parquet était entrée dans la pièce un léger vent froid, comme lorsque les mauvais esprits arrivent dans les réunions satanistes, et puis soudainement la banquette n'était plus aussi douce et accueillante et il lui semblait même qu'elle s'était rétrécie et elle était un peu plus collée à John désormais, mais les murs aussi semblaient se rapprocher et Luo songera brièvement que s'ils se refermaient eux trois feraient une très jolie crêpe.
Mais ce serait pour un autre jour. C'était qu'ils s'éloignaient un petit peu du sujet premier de leur rêve, là, et il fallait faire quelque chose pour ce pauvre John qui terrait sa tignasse blonde au fond du canapé comme un petit garçon devant la maîtresse. Elle regarda Olivia et fronça les sourcils.
" Mais c'est vrai, Olivia! " intervint-elle comme la brave secrétaire qu'elle était. " John a été très sage jusqu'à présent. " Ne pense pas aux boutons de ta robe, ne pense pas aux boutons de ta robe. " Il s'est bien tenu et il n'a même pas renversé son thé. Il n'a pas fait de proposition indécente et s'est même brossé les dents hier soir " Elle tenta un sourire encourageant. " Il n'y a vraiment pas de quoi s'inquiéter! "

[ j'ai répondu! j'ai répondu! j'ai vaincu la procrastination! gloiiiiiire! o/ désolée de l'attente. ]

Olivia eut un sourire mauvais, posa son plateau puis se laissa tomber entre John et Ludivine, passant un bras familier autour de leurs épaules. John eut un petit frisson. Pas vraiment qu'il ait peur de Mrs Felton. Enfin, si, il avait peur, mais plutôt cette sainte terreur qu'inspire Dieu. Elle donnait ses ordres, il n'avait plus qu'à les exécuter, et avec le sourire, en plus.
John aurait tout fait pour cette femme. Tout. Il n'était pas amoureux. Et même, elle ne l'attirait pas. Son charme félin avait cessé d'opérer le jour où elle l'avait débauché dans la deux chevaux. Longue histoire. John a peur des allumes-cigares depuis ce jour. Mais c'était ainsi. Elle l'obsédait. Il avait assez de bien, et pour lui sa belle apparence, il aurait pu depuis longtemps dire ' non ' et claquer sa porte, il ne travaillait pas dans l'entreprise pour assurer sa subsistance. Alors pourquoi restait-il? Délicate question. Peut être bien qu'il était un peu maso.
Bref. John ouvrit la bouche pour protester puis soupira.
" Même en rêve, tu ne me laisses jamais un moment de repos, hein? "
" Tu adooooores ça John. "
Il aurait voulu répliquer mais se ravisa. Il réfléchit une seconde puis haussa les épaules.
" C'est vrai, j'adore ça. "
Il se leva, très raide, Olivia croisa les jambes avec assurance. John attrapa la main de sa secrétaire et la tira derrière lui. Mrs Felton s'était levée et les suivait sans se presser.
" Venez, Luo. J'ai trop de souvenirs ici. C'est peut être pour ça. " Il s'était repris mais ne semblait pas tranquille.
Il ouvrit la porte des toilettes. De bien étranges toilettes. Il n'y avait ni lavabos ni cabines, ni urinoirs. En fait, il venait simplement d'ouvrir une brèche vers un autre univers. Une grande, grande plage, le genre décor de carte postale, sable chaud et mer azur, avec de grands arbres et des oiseaux lyre dans un coin. Bizarre. Il ne s'attendait pas à ce que ce soit si...
Dans leurs dos, le bruit de pas s'accélérait, et John, soudain nerveux, claque la porte derrière eux, verrouilla à triple tour ( il avait tourné la clef une dizaine de fois dans la serrure ). C'était un spectacle étonnant, cette porte dressée, comme plantée dans le sol meuble, domino en acajou laissé en plan par un géant facétieux. Quelle vilaine métaphore.
" Je crois que nous sommes saufs heu... Navré, c'était vraiment... "

Il faisait chaud. Une chaleur tropicale. Et lui qui portait toujours son complet et... Oh, tiens, le zeppelin était toujours là, par contre. Il y avait des choses qui ne changeraient jamais.
La porte s'évapora, Olivia n'était plus en vue. Le coeur du sous-directeur battait encore un peu trop vite. Cependant, tout lui semblait très net, très clair.
" J'ai chaud "

Il commença à retirer sa veste. N'y plus penser. Il avait envie de prendre Lewis dans se bras, d'aller se baigner et ensuite de paresser sous les arbres, oh et puis zut, il ne savait même plus de quoi il avait vraiment envie. Il était désormais torse nu. Fan service, vous avez dit fan service?

C'était étrange, soudainement, ce décor de plage. Comme s'ils s'étaient téléportés dans un film hollywoodien ou une affiche de propagande pour la côte d'azur. On aurait presque cru voir le beau surfer blond passer sur sa planche à droite, poursuivi par une cohorte de jolies filles en bikini rouges, à gauche un marchand de crêpes et de glace et...
Mais elle s'égarait. Ils s'étaient sortis d'une bien étrange histoire. L'instant d'avant ils étaient encore dans le froid du mois de février, pelotonnés sur une banquette dans une gare où les flocons s'écrasaient sur les rames des trains, et maintenant les voilà sous ce ciel d'azur avec ces mouettes qui criaillent un peu plus loin. Étrange, très étrange histoire.
Elle n'avait pas pris son manteau, mais sa robe en laine lui tenait chaud et ses collants étaient comme collés à sa peau. Sans avoir vu John qui, à ses côtés, faisait à peu près la même chose, elle se pencha et enleva ses chaussures qu'elle laissa choir dans le sable, parce que ça n'était pas pratique tout de même, puis elle enleva ses collants qui tombèrent autour de ses chevilles avec une simplicité déconcertante, comme s'ils avaient été une peau morte dont elle se défaisait. Elle se dégagea des collants tombés au sol, comme d'une mélasse noirâtre, et posa ses pieds dans le sable chaud. Ça faisait longtemps, tiens. Luo n'avait jamais été très plage, mais elle ne pouvait pas nier que ça, c'était une sensation fichtrement agréable.
Elle fit quelques pas. Le sable était doux, l'air était chaud et elle avait envie d'enlever sa robe. Elle se retourna vers John et remarqua seulement à cet instant que lui aussi s'était déshabillé - et marqua un temps de surprise. Puis afficha juste l'air un peu amusé et penaud qu'elle avait parfois.
" La situation devenait un peu bizarre " résuma-t-elle, ce qui pouvait vouloir dire tout et rien à la fois. " Je pense que dans l'état actuel des choses, nous avons surtout besoin de... "
Elle balaya le paysage du regard. Grand, et vide. Immense. Sans fioritures. Simple. Oui, voilà! Simple.
" ... de simplicité, voilà. "
John, Luo, simplicité?
Ha, ha. Laissez moi rire.

John retira ses chaussures et ses chaussettes. Il hésita à ôter la ceinture. Finalement, il enfonça les mains dans ses poches et marcha vers le bord de mer, le regard perdu à l’horizon. L’eau était plus bleue que le ciel qui lui même était sans nuages. À cinquante mètres, il abandonna toute dignité et courut jusqu’aux vagues en poussant un sauvage cri de joie enfantine.
Avais-je omis de préciser qu’il adorait la mer ?
Le jeune homme tendit le pied en retroussant légèrement le bas de son pantalon.
« Venez Luo, elle est bonne ! » s’écria-t-il en agitant les bras avec un sourire tellement large qu’on aurait eu la place d’y caler une assiette à dessert. Pas de moue ironique pour une fois, pas de fin sourire de chat qui digère. Gamin, va.
Il aurait voulu se débarrasser de son pantalon, mais il ne portait rien d’autre et il n’était pas question d’exhiber sa nudité à sa secrétaire. Et il hésitait quant au choix du maillot. Le une pièce à rayures était ce qui lui seyait le mieux mais il n’était pas certain que Lewis adhère à son sens de l’esthétisme. Enfin, elle n’était pas la mieux placée pour jouer les conseillères fashion. John se laissa tomber dans le sable, il était chaud comme le sein d’une femme et accueillant comme lui, c’était presque une caresse.
« Vous devez avoir chaud » observa-t-il en se retournant sur le ventre. Les petits grains lui chatouillaient les chevilles et le bas-ventre. Il se demanda si un chapeau et une combinaison de plage feraient l’affaire.
«  Avez vous vu mort à Venise, Luo ? »

Spoiler:

Luo regarda John courir vers la plage comme un gamin qui voit la mer pour la première fois, d'un air amusé qui retroussait ses lèvres en un petit sourire, et s'avança elle aussi de quelques pas mesurés vers le rivage. On se serait crus dans une carte postale. Le môme blond qui courait et la mère en robe de plage, un chapeau de paille sur ses cheveux noirs. Parce qu'elle était habillée ainsi, à présent, on aurait presque cru que ses cheveux avaient un peu poussé pour qu'ils puissent voler au vent correctement, et sa longue robe fermée par une ceinture en tissu claquait en longs pans autour de ses jambes.
Elle s'avança donc et défit la ceinture, laissant la robe tomber en une longue chute de tissu sur le sable, et se retrouva en maillot de bain une pièce, un chaste maillot de bain blanc et bleu rayé - pas un truc de pouffe sexy - et saisit à la main son chapeau. Ses cheveux étaient doux et même pas secs. Les teintures les irritaient, mais là maintenant, elle avait l'impression d'avoir retrouvé les cheveux de ses huit ans. Elle sourit légèrement, triturant les bords en paille du chapeau.
John émergea de l'eau, sa tignasse blonde - j'adore qualifier ses cheveux comme ça, tu as du le remarquer - ruisselante dans son cou et ses épaules, et Luo nota que l'image du jeune homme était loin d'être désagréable, surtout avec le grand sourire idiot qu'il affichait sur le visage. Le contraste entre la scène précédente et celle-ci était saisissant. Inutile de préciser lequel des deux préférait Luo.
Elle s'approcha de l'eau tandis que John en sortait et s'étalait dans le sable, goûtant frileusement du pied la température de l'eau. Elle était tiède comme si elle avait attendu plusieurs jours dans une cuve ensoleillée qu'ils viennent se baigner, et un grand sourire ravi s'étala sur son visage. Elle avait toujours aimé prendre des bains. Ca ne devait pas être si différent de se baigner dans ce coin-là.
Elle rentra jusqu'au chevilles dans l'eau et examina l'horizon telle une conquérante, plissant les yeux.
" Non, jamais! " lança-t-elle à la cantonade pour répondre à la question de John. " C'est un film, non? Ma culture cinématographique est assez nulle "
Elle avança encore jusqu'au genou, une vague l'éclaboussa, et elle eut un rire de gamine ravie.
" Où est-ce qu'on est, exactement? Cet endroit est génial! "

" Un film et un livre. "
John se redressa, agita son index dans les airs, et une image tremblotante flotta entre lui et Luo, comme un écran de télévision suspendu. C'était Tadzio, grandeur nature, étincelant de grace et de jeunesse dans son petit maillot moulant.
" Alors lui, c'est Tadzio, qui est polonais. Et lui là... - autre mouvement de la main - c'est un vieux qui est amoureux de Tadzio. On s'en fiche un peu, mais c'est juste que je trouve que la combinaison de bain de Tadzio est vraiment très seyante, et personne n'est d'accord avec moi. "

Il se releva, et fendit l'eau pour se rapprocher de sa secrétaire, en faisant de grands bruits mouillés, des clip clops trop sonores pour être vrais. Son pantalon était complètement imbibé, le tissus ondulait au rythme des vagues. En fait, John avait des allures de sirène, ce qui n'est peut être pas très heureux en temps normal pour un homme mais semblait lui l'auréoler d'un genre de grâce irréelle et malsaine. je dis malsaine parce que bon, John en créature de la mer...

" Et hop! " S'exclama-t-il en aspergeant la jeune femme d'un grand geste. Le chapeau de paille fut emporté par la gerbe et John s'en coiffa avec un air de défi. Ses cheveux étaient secs et plus blonds que jamais. Le soleil tapait fort, l'eau sentait le sel et la tête lui tournait un peu, mais juste assez pour que ce soit agréable.
" C'est joli, non? " se moqua-t-il en tournant sur lui même pour faire admirer à Ludivine son nouveau couvre chef.
Et c'était bien vrai, que c'était joli.

John ne répondait pas à ses questions, mais ce n'était pas très grave. Après tout, peu importe où ils étaient, ils y étaient bien, il était même probable qu'ils ne soient nul part, juste sur une plage ensoleillée sortie de l'imagination de John, parce que cette plage était juste un peu trop belle pour être vraie, mais ce n'était pas elle qui allait s'en plaindre. Elle crachota un peu en riant lorsque John l'éclaboussa et riposta d'un grand jet d'eau qui ne sembla pas le déranger, lui qui continuait de parader avec son chapeau en paille. Il faisait beau, il faisait chaud, et puis John aussi était beau et elle sentait le soleil lui brûler délicieusement la peau, lui glisser des baisers cramoisis sur la nuque, derrière son oreille, dans le creux de ses poignets, l'eau de mer lui avait fait des lèvres un peu salées. Un grand frisson remonta sa colonne vertébrale lorsque une vague éclaboussa ses reins, et toute cette chaleur lui donnait envie de chanter la Hava Nagila avec John. Ils auraient fait un beau duo, tiens.
Elle attrapa le chapeau de la tête de John et le coiffa avec un air de défi.
" Il me va mieux à moi " décréta-t-elle, et c'était étrange de voir cette Luo toute enfantine et détendue quand on était si habitué à la secrétaire intransigeante de la Waldon. Elle tourna un peu sur elle même, regardant les alentours. Le bleu, le bleu, le bleu, toujours du bleu, la mer qui clapotait doucement, ou peut-être était-ce l'océan, c'était de l'eau, allez savoir. Ses pieds s'enfonçaient dans le sable comme dans une mousse au chocolat, elle avait l'impression de pouvoir se hisser dans l'air à la force des poignets tant il était chaud et palpable. Elle laissa traîner ses mains dans l'eau, laissant clapoter ses doigts.
" Mais c'est vrai que c'était joli ' concéda-t-elle tout de même à John.
Elle leva le nez vers le ciel, s'abrita les yeux d'une main, tenant son chapeau de l'autre.
" On est tout de même mieux ici que dans cette gare, décidément! "

" Le décor était pas mal pourtant. "
Peut être qu'elle n'avait pas aimé qu'il la taquine. Mais s'il avait gardé ses mains dans ses poches, ça n'aurait pas été aussi drôle, non?
Il replongea la tête dans l'eau, effectua quelques brasses. Son pantalon l'alourdissait mais il n'avait toujours pas de solution à son problème de maillot. L'eau était tellement claire que c'en était pratiquement irréel.
Quand il était petit, John était souvent parti à la plage. Il était ce genre d'enfant qui part toujours en vacances, les grands week end fériés compris. Il avait vu à peu près tous les paysages et tous les reliefs de la fichue Angleterre, et la fichue Irlande aussi d'ailleurs. Mais les plages anglaises étaient mornes et grises, vides et glacées. Majestueuses et chiantes, avec le sable qui gratte, l'eau qui pique, et le putain de blizzard qui se met à souffler juste au moment où vous sortez des vagues, alors que votre serviette est à 100 mètres.
Mais cette plage ci était si accueillante, le soleil si chaud, qu'il ne faisait aucun doute pour John qu'ils se trouvaient sur une côte grecque. Il pensait à cette petite nouvelle d'Heminguay... Avec les descriptions d'oiseaux marins et de flots violets.
Alors il se creusa la tête, et soudain apparut une grande plate-forme en bois. Elle pouvait mesurer 4 mètres sur 4 mètres. Il y avait deux matelas en mousse rayés et deux coussins gonflables, et John sans réfléchir bondit sur le radeau, qui étrangement ne tangua pas. Insubmersible en plus?
Il s'allongea sur cet espèce de transat improvisé. Peut être, si Lewis montait avec lui, ils dériveraient, dériveraient... Jusqu'à perdre la terre de vue. Ils seraient seuls coincés entre le vide bleu et le bleu. Sans souffrir de la faim ni souffrir de la soif. Ils laisseraient tremper leurs pieds dans l'eau et la nuit n'auraient pas froid.
C'était un drôle de rêve de gamin qui veut jouer aux Crusoés. John s'étonnait d'avoir encore ce genre de fantaisies enfantines. Alors, avec un air très sérieux, il dit :
" Montez avec moi, Luo. On flottera ensembles jusqu'à toucher d'autres îles. "
Il n'aurait pas eu l'air moins déterminé s'il l'avait demandé en mariage.

Elle leva encore le regard vers lui, ayant elle aussi le regard sérieux de la gamine qui se concentre pour choisir entre la glace à la menthe et la glace au citron. John aurait plutôt été glace au citron. Avec de grandes gaufres dégoulinantes de chantilly et de chocolat, qu'il faut finir en se léchant les doigts et en s'en étant mis partout sur le maillot de bain. Elle hocha la tête.
" Et personne ne pourra plus nous retrouver " approuva-t-elle.
Elle se hissa sur le grand radeau. Le tissu était chaud d'être resté au soleil, un peu vieux et craquelé, et elle s'y enfonça doucement lorsque qu'elle posa les pieds dessus, il était encore un peu humide, rouge et blanc rayé avec une vieille tache de café, comme si ce lieu avait été le point de rendez-vous d'autres rêveurs qui étaient passés ici avant eux, dans un autre été. Elle s'allongea sur le ventre, ses cheveux humides lui gouttaient dans le cou, sur le front, et tombaient sur le matelas, qui les absorbait presque immédiatement.
Elle releva un peu la tête vers John. Il avait gardé son pantalon et prenait le soleil, qui lui faisait mal aux yeux, juste derrière lui, un peu trop proche. Elle plissa les yeux légèrement pour mieux le voir. Ce radeau sentait le sel, le vieux bois. Bizarrement il ne bougeait presque pas, comme s'il avait été un grand ponton de bois qui aurait eu les pieds plantés dans le sable sous l'eau sans être relié au rivage.
Elle baissa à nouveau le regard, elle laissa ses doigts plonger dans l'eau tiède d'un air émerveillé.
" Je ne savais pas qu'il y avait des endroits pareils dans votre tête, John " fit-elle après un instant. Elle releva la main, la leva dans les airs, l'eau glissa contre son poignet jusqu'au creux de son coude en laissant une trace argentée derrière elle. " Je crois que je pourrais rester ici toute ma vie "

[ Mon inspiration est très capricieuse, comme tu as du le remarquer. Enfin, anyway, je ne sais pas pour combien de temps mais elle est revenue alors alléluia é___è comme tu as du le comprendre dans mes descriptions je serais pas contre être dans le rêve de John moi aussi ]