Ludivine Lewis secoua son parapluie à pois dans un coin de la pièce, comme elle avait promis de ne plus le faire à la femme de ménage en charge de l'étage, puis renonça enfin à en enlever toutes les gouttes et le laissa tomber sur la moquette. Très moche, cette moquette, d'ailleurs. Peut-être que si elle l'abîmait suffisamment avec les gouttes de son parapluie, ils seraient obligés de la changer. Ou alors, elle pourrait ramener un colorant alimentaire pour la colorer en violet.
Elle enleva son imperméable qu'elle jeta sur le porte-manteau. En fait, elle rata le porte-manteau et l'imperméable ( à pois lui aussi, ce matin elle avait décidé que ce serait une journée à pois ) tomba à son tour sur la moquette, mais elle ne s'en aperçut pas. Elle se pencha sur son bureau, retenant une mèche vert foncé de lui tomber dans les yeux, et examina les papiers obscurs qui le couvraient. Elle devrait ranger son bureau plus souvent. Fallait dire que m'sieur John ne lui facilitait pas vraiment la tache. Ça faisait trois jours que quand elle essayait de lui faire signer des documents, il trouvait une bonne raison X ou Y pour ne pas se trouver dans le coin. Dieu sait ce qu'il faisait dans les coins sombres de l'entreprise quand elle le cherchait. Valait mieux ne pas savoir, pour tout vous dire.
Il était neuf heures moins le quart. Même pour John, c'était tôt pour se débaucher. Elle ramassa une pile de dossiers de couleurs diverses qui attendaient la signature d'un membre de l'équipe directionnelle de la Waldon - ou quoi que ce soit comme équipe - et se dit que cette fois-ci, elle ne le raterait pas. Et puis elle était sa secrétaire à la base, quoi. Logiquement, c'était elle qui était sensée renseigner les autres sur le lieu où il se trouvait, pas lui courir après pour lui soutirer des signatures.
Elle se redressa et secoua sa crinière colorée pour humidifier encore un chouïa la moquette, prit soin de bien appliquer ses bottes de pluie humides contre le sol et se dirigea vers le bureau de son supérieur hiérarchique, qui se trouvait à peine à quelques mètres du sien. Elle se pencha et colla son oreille contre le bois de la porte, fronçant les sourcils - en cas de bruits compromettants, elle passerait plus tard - et, n'entendant que des petits bruitages mignons d'origine non spécifiée, se dit qu'elle pouvait sans trop de risque entrer seule dans la pièce. Elle poussa d'un mouvement de l'épaule la porte non verrouillée et rentra dans la pièce.
John, dans la splendeur habituelle de sa classe anglaise et de ses cheveux blonds, les pieds sur la table, semblait passionné par l'utilisation d'une sorte de gameboy, d'où s'échappaient visiblement les bruitages étranges. Faisant la moue et avec un léger soupir pour signaler sa présence, elle s'avança vers le bureau et se pencha pour poser les dossiers là où ils étaient sensés être - sur le bureau de John.
" John. Vous me devez ces signatures depuis mardi dernier " lui rappela-t-elle en lui faisant un petit signe, sachant qu'il ne sortirait pas de sa gameboy si elle le lui disait pas spécifiquement ce qu'elle attendait de lui. " C'est pas que ce soit particulièrement urgent ou utile, mais je m'ennuie un peu "

Monsieur John Rose est un homme malheureux.
Pourtant, tout avait plutôt bien commencé. Son bureau rien que pour lui. Une moquette ma foi, tout à fait convenable, de toute façon il n'avait jamais rien espéré de particulier vis à vis de cette moquette mais enfin, elle était telle qu'une moquette devait être, selon lui. Une plaque avec son nom dessus, bref, c'était la grande classe, et lui, he bien... Il n'avait qu'à évoluer dans son immense local de 40 mètre carré comme un poisson exotique dans son aquarium, c'est à dire qu'il n'est strictement d'aucune utilité mais qu'il a une fonction décorative et que c'est déjà ça.
Oui, voilà. John avait vécu une vie d'objet décoratif pendant un an ou deux, et ça lui convenait parfaitement. Il n'en demandait pas plus, pas moins. Il pouvait jouer aux jeux vidéos toute la journée, dormir sous son bureau, faire de la buée sur ses vitres en fixant la ridicule petitesse du monde, en bas. Mais ce sont la des informations à mettre au passé simple. Mais si, vous savez, le passé du temps révolu.
Et donc, comme je vous l'ai déjà dit, John est un homme malheureux.
La coupable? La coupable est devant lui, et pour le moment, elle goutte de partout sur SON tapis en lui mettant sous le nez des documents dont il n'a rien à faire. Il ne comprends pas pourquoi elle l'importune. Est-ce qu'il vient lui demander des signatures, lui?
Avec un soupir, il repose sa DS sur son sous-main.
" Mais enfin, Luo,pour les signer, il faut les lire ces dossiers... " - son visage s'affaisse légèrement - vous savez que je déteste çaaaaaa " se plaint-il en étirant la dernière voyelle, comme s'il tirait sur un chewing gum. "
Il se laisse tomber sur son bureau, on dirait un petit garçon fatigué d'avoir trop étudié.
" Vous n'avez pas besoin de moi pour ça, vous pouvez très bien imiter ma signature " boude-t-il en jouant distraitement avec ses trombones, puis avec une mèche des cheveux de luo qui traîne sur le verre du bureau.

Tu crois qu'elle va s'attendrir, hein?
Hé bien, non. Elle connait tes ruses, la Luo, hé.
Miss Lewis se redressa quelques peu, écartant ses mèches de cheveux des mains de John - pas que cela la dérange vraiment, mais voyez, tomber dans les jeux de John était fortement déconseillé et elle ne comptait pas figurer à la liste des innombrables jouets cassés du prince - ainsi que les trombones colorés divers et variés avec lesquels il s'amusait depuis quelques instants. Retirant un trombone rose des mains du jeune homme à l'aide de ses ongles violets, elle le posa devant son nez comme pour appuyer ses mots.
" Je ne sais pas imiter votre signature, elle est trop tarabiscotée. Et vous n'avez qu'à signer sans avoir lu, j'ai déjà fait la sélection pour vous, c'est des rapports de stages et nous savons tous les deux qu'aucun stage n'a eu lieu, alors vous n'avez pas à être très pointilleux. "
Elle s'assit sur le bureau - il était en verre, mais solidement soutenu et elle n'était pas vraiment très lourde - et chercha dans les pots à crayons un stylo qui marcherait et qui aurait une couleur relativement sérieuse. En fait, non, on s'en fichait de la couleur, elle farfouilla un instant, et après avoir remis en place sa barrette à cheveux pour éviter qu'une nouvelle mèche ne tombe dans les dossiers, elle sortit un stylo-bic orange foncé du pot en plastique. Dieu seul savait ce qu'il faisait là, peut-être une idée ou un cadeau de la Dame Felton. On disait toutes sortes de choses sur Felton et John. La plupart du temps, elle essayait de ne pas écouter lorsque le sujet retombait sur le tapis - ou la moquette - dans les ragots de secrétaires, mais il fallait avouer que les rumeurs étaient difficiles à éviter à la Waldon. Rumeurs qui prenaient souvent la forme d'étranges vérités. Vu ce qu'elles disaient ces rumeurs, ça lui donnait une dizaine de raisons de plus de ne pas approcher John de trop près.
Elle finit de remettre sa barrette en place et ouvrit le premier dossier, feuilleta quelques pages, arriva à celle où la signature du directeur ou du directeur adjoint était requise et glissa le dossier devant John, lui mettant le stylo entre les doigts.
" Allez-y. Ça prend quinze minutes à tout casser et comme ça j'aurais la conscience tranquille pour aller dormir dans mon bureau ensuite " lui fit-elle en le fixant.

Le jeune homme s'étrangla.
" Qu.. QUOI? QUINZE MINUTES? Non mais, vous voulez m'achever, ou quoi? "
Son désespoir était au point culminant. Quinze minutes? Mais elle espérait quoi cette salle heu.. Cette sale fille. Pas qu'il déteste particulièrement Luo. Elle était même plutôt mignonne. En temps normal, il aurait adoré jouer un peu avec Luo. Il l'aurait basculée sur ce bureau, oui comme ça, vous voyez, eh... Mais enfin, ça n'est pas le sujet. Quinze minutes... Non, en fait, s'il lui en voulait, c'était précisément pour ces petits moments suspendus où elle lançait des énormités comme s'il s'agissait d'une évidence. Quinze minutes? Mais enfin, c'était énoooorme quinze minutes, en quinze minutes il aurait pu passer trois niveaux sur sa DS et tomber très exactement 4,7 filles. J'ai établi la moyenne sur le nombre à l'année en soustrayant les vacances et les jours fériés.
Voyons, qu'est-ce qu'il fallait faire pour qu'elle le laisse tranquille?
" Si ça n'est pas important on pourra les signer plus tard, non? "
Il lui fit le regard implorant du coker que son maître va encore emmener faire friser au salon de toilettage, et le coker n'est pas vraiment partant, pour des raisons que l'on comprend aisément.
Il tendit encore les mains, dans l'espoir de saisir une autre mèche - le charme anglais, amusons nous ensembles jolie demoiselle, tous ces trucs là - mais elle était trop loin et lui se sentait trop faible, il ne réussit qu'à s'aplatir mollement sur son bureau, le bic roulant sur la surface lisse avec un petit bruit agaçant.
Son petit numéro avait il marché? Caché derrière sa masse dorée de cheveux soyeux, John glissa un regard en coin à sa secrétaire. Et puis zut, elle était son inférieure hiérarchique! Il n'allait pas trembler et geindre comme un gamin alors qu'elle devait gagner aux moins, deux, non! Trois fois moins que lui par mois! Et elle en plus elle ne couchait même pas avec la patronne - ou alors Mrs Felton lui avait caché des choses. - Il allait montrer qui il était, un homme, un vrai et..

Oh, un papillon.

Luo croisa les jambes et descendit vers lui un regard mécontent - juste ce qu'il faut, mais pas trop, il était son patron tout de même, elle ne pouvait le malmener que dans certaines limites -, l'air de dire je ne suis pas fière de vous, John. Et tous vos adorables regards derrières vos mèches blondes d'enfant de cœur ne changeront rien au fait que je vous ferai signer ces dossiers. D'ailleurs arrêtez de me regarder comme ça parce que vous êtes très très mignon, Monsieur John.
... bien sûr qu'elle n'allait pas lui dire ça.
" Arrêtez votre manège, Rose " Bon, appeler quelqu'un par son nom de famille ça perd un peu de son incisivité quand ce nom c'est Rose. Pas grave. " Vous ne me la ferez pas avec vos regards de chien battu "
Elle lui donna une tape sur le front pour le faire reculer, lui et ses mains baladeuses de lord anglais. Elle écarta sans trop de ménagement sa tête et extirpa en dessous d'elle le dossier sur lequel John l'avait laissée choir, ne perdant pas espoir, et rattrapa le stylo avant qu'il ne tombe sur la fameuse moquette. La tête de John heurta le verre avec un petit bruit sourd. Sur ce, elle le posa sur ses genoux, débouchonna le stylo d'une main experte et l'ouvrit à la première page.
" Si vous refusez de les signer, je vais tous vous les lire. Un par un. Et je vous confisquerai votre gameboy jusqu'à ce que vous m'ayez signé ces dossiers. "
Bon, peut-être aller jusque là n'était pas vraiment nécessaire, d'autant plus que les dossiers n'étaient pas urgents, mais Luo avait besoin d'un minimum d'ordre ou du moins, pour maintenir sa conscience tranquille, d'avoir la sensation d'avoir fait quelque chose de constructif de sa journée. Ce qui n'était visiblement pas la préoccupation de tout le monde. Qu'importe.
Elle tapota du bout de son stylo sur le rebord de la pochette en carton qui entourait le dossier, regardant John par dessus celui-ci de son fameux regard professionnel. Où allait le monde si les secrétaires se laissaient toutes attendrir par leur patron? Elles n'allaient pas toutes se la rejouer Monica Levinsky, non plus, oh que non.
" Alors. Vous les signez ces dossiers? Je peux commencer à lire, si vous voulez " commenta-t-elle en continuant de tapoter.

John eut un petit sourire méprisant. Voilà le souci, avec le petit personnel : quand on le laissait prendre ses aises, il finissait toujours par dépasser les limites. S'il y avait bien un truc auquel John n'avait jamais adhéré, c'était le concept de lutte des classes. Que les prolétaires restent chez eux et l'étable serait bien gardée. À cette pensée, il sentit un petit regain d'énergie lui courir le long de la colonne, se redressa, et se concentra intensément afin d'administrer à cette gueuse de Luo la remontrance de sa vie.
" Bon, écoutez bien, ma fille, commença-t-il avec une virile énergie tout à fait admirable, écoutez moi bien, parce que... "
Le papillon avait reprit son vol, traversant l'espace vite avec une lenteur irréelle. Bon sang, c'était pas le moment! C'était le moment d'apparaître dans toute sa majesté de grand propriétaire terrien, mais trop tard... John resta hypnotisé par la paire d'ailes bleues pendant deux bonnes secondes avant de regarder de nouveau les yeux marrons ( pour les riches c'est noisette, châtaigne, ambre, des adjectifs précieux quoi, pour les pauvres ont dit marron. D'ailleurs les pauvres sont tous fabriqués sur le même modèle, non? Y'a pas besoin d'aller chercher dans la nuance) bref, il fixa les yeux de Luo et reprit avec moins de conviction.
"Je suis conciliant mais je suis quand même votre supérieur. Ma tolérance à ses limites, il y a des choses que vous pou... - haha, le papillon venait de faire un genre de looping, très jol.. Non non, John, tu t'égares - Heu... Des limites qui... "
Sa voix manquait d'entrain. Elle sonnait faux. Il était incapable de mener ces deux activités à la fois, observer le vol de l'insecte et faire sentir à Luo toute sa mâle supériorité. Finalement, il se laissa retomber dans son fauteuil de cuir et jeta à sa secrétaire un regard mauvais.
" Bon, ça ira, je laisse passer cette fois. Vous pouvez me lire tous les dossiers que vous voudrez, ça ne m'empêchera pas de faire la sieste. "
Il glissa la DS à sa ceinture et rabattit un pan de chemise puit ferma les yeux.
Il s'appelle John Rose, il a 8000 livres de rente, il est fils d'un capitaine d'industrie et il se laisse mener par le bout du nez par une nana aux cheveux verts qui n'a même pas le bon goût de le laisser la sauter après les heures de bureau.
La vie est mal faite.

La secrétaire regarda John Rose. Oui, voilà encore une autre raison de ne pas tomber dans les filets de ce gigolo de patron. Son côté monsieur du monde. Il pouvait bien se la jouer, elle aussi faisait partie de la direction de la Waldon et elle aussi, elle connaissait Felton, et si elle n'était pas une fille, elle aussi aurait pu devenir directrice adjointe de la Waldon juste en se fourrant dans son lit. Parce que ce n'était pas un mystère - ici, il n'y avait aucune loi visible concernant la hiérarchie, c'était selon le bon vouloir de la patronne que les employés gravissaient les échelons. Pas une question de capacité. Ni même de fric. Enfin, tout le monde savait que John sortait pas vraiment d'une poubelle, et c'était un sacré euphémisme.
Elle garda son air professionnellement outré durant la vindicte de Rose, jusqu'à ce que le trouble de celui-ci lui semble bizarre. Elle fronça les sourcils et suivit son regard.
Un papillon. Un joli papillon bleu tout droit sorti d'un film disney qui se baladait au milieu du bureau de John. Elle eut un sourire. Ça lui rappelait le rêve de cette nuit, tiens... Elle s'était encore retrouvée dans un dessin animé. Ça lui arrivait de plus en plus souvent dans ses rêves, ces temps-ci. Freud aurait adoré.
Se rappelant soudain elle aussi - et à peu près au même moment que John - qu'elle avait une tâche à accomplir, elle suivit la fin de sa diatribe sans broncher, même lorsque John finit par soupirer et se laisser tomber dans le fauteuil en annonçant qu'il allait faire une sieste. Luo jeta un regard las par avance à la pile de dossiers qui s'amoncelait devant elle. On aurait du décerner un Prix Nobel à toutes les femmes qui avaient un jour réussi à faire travailler John. Ou même créer un syndicat pour ses victimes. Dans tous les cas, une lecture s'annonçait hautement soporifique, tant pour elle que pour John.
Elle se remit correctement en place sur le bureau, décroisa les jambes, tira les bords de son short à pois - je vous ai dis qu'aujourd'hui était une journée à pois non? - et s'éclaircit la gorge.
" Hé bien, nous voilà partis, mon cher John. J'espère que vous allez faire des rêves intéressants durant votre sieste " commenta-t-elle avant de commencer d'une voix la plus monocorde possible : " Page une. Rapport de stage : mise en place d'outils de supervision IPv6 au sein du réseau Renater, dans les entreprises CS et Renater, par Simon Brown, Master SCR, ENSEEIGHT, années 2009-2010. " Elle tourna la page. " Page deux. Remerciements. Je tiens tout particulièrement à remercier mes maîtres de stage M. Silvère Pradella et M. Bernard Tuy pour leur accueil chalereux, ainsi que M. Dany Vandromme, le directeur du GIP RENATER, de m'avoir accepté au sein du CS et du GIP RENATER. Je remercie également M. Jérôme Durand, M. Pierre-Emmanuel Goiffon, , M. Thierry Bono et et M. François-Xavier Andreu pour leur soutien technique. D'une façon plus générale, je remercie l'ensemble du NOC - entre parenthèses Network Operation Center, fermez les parenthèses - pour l'intérêt qu'ils m'ont porté tout au long du stage ainsi que pour leur aide et précision. Je remercie de même ma tutrice de stage Béatrice Paillassa pour son encadrement pendant celui-ci. Page trois. " Elle toussota et tourna la page. " Sommaire. Page deux, remerciements. Page trois, sommaire. Page cinq, Introduction. Page six, grand un, présentation des entreprises, page six, grand un petit un, présentation de CS, page sept, grand un petit un très petit un, historique de CS. Page huit, grand un petit un très petit deux, organisation et activités de CS. Page dix, grand un petit un très petit trois, présentation du NOC. " Elle s'éclaircit la gorge. " Page onze, grand un petit deux, présentation de Renater... "

[ elle peut être très chiante quand elle veut xD ]

Il avait écouté, Oh, peut être les cinq premières secondes. Mais Luo avait fait une grosse erreur stratégique. Elle espérait vraiment, la pauvre l'ennuyer en lui lisant ce rapport de stage. Eh bien, ça marchait parfaitement. C'était chiant à mourir. C'était juste ce qu'il fallait à John pour glisser dans le sommeil bienheureux. Il entendit des bribes ' remerciements... Madame.. NOC... ' Mais bientôt les mots se succédaient et leur sens devenait indifférent.
John s'endormit.
Vous allez vous dire ' Il est rapide '. En effet. Mais vous en feriez autant avec de l'alcool à 12 degrés dans les veines. On ne sait pas trop quel alcool d'ailleurs, ça n'a pas la couleur du vin, c'est un peu ambré...
Enfin, on s'en fout, ce qui compte maintenant c'est John et rien que John, plus précisément ce qui se passe dans la tête de John. Il est très mignon, comme ça. Je veux dire, quand il dort. La joue qui retombe contre son épaule droite, avec ses mèches qui lui collent au front. Il est tôt mais il y a déjà un beau soleil. Une petite larme de sommeil lui roule le long de son menton plein de cicatrices. Si Luo tendait le doit et la goûtait, elle se rendrait compte qu'elle a un goût d'alcool. Mais bon, on est pas dans un téléfilm américain diffusé sur M6 à 15h35 un jeudi.
Et puis, John se met à rêver. Il fait un petit bruit et ses yeux roulent derrière ses paupières. À quoi rêve-t-il?

" Quelle étrange maison... Où suis-je...?
- Bonjour, je suis la vie gâchée de Jack.
- Que... "
Dans ses rêves, John est parfaitement lucide. Il marche droit. Il se tient bien, il est digne. Il est bien rasé, bien vêtu. Rien ne tangue, rien n'est flou, tout est si net...
- Heu. Pas cool.

Au fond de la pièce, un Monsieur vêtu en costume à rayures montre un cheval de bois minuscule. Il balance, en avant, en arrière, en avant, en arrière, lentement, comme les ailes du papillon, et puis tout vas de pluus en pluus leentement. C'est incroyable, mais il y a deux jaunes d'oeufs qui se battent sur la moquette. Oh Mon Dieu.
" Je crois que je préférais encore Luo " murmure John en avançant tel Moïse fendant les flots vers une porte verte, tout au fond.

Au bout de la sixième page de rapport soporifique, assommant et très probablement copié-collé d'internet, Ludivine cessa sa lecture et baissa son rapport pour vérifier l'état de son patron.
Il était endormi. Tant mieux. Elle s'en doutait. Elle eut un petit soupir pour la forme, mais cela faisait longtemps qu'elle n'était pas entrée dans les rêves de quelqu'un, et ceux de John avaient toujours eu un délicieux goût éthylique qui leur donnait un charme supplémentaire. Et puis elle ne s'était pas vraiment attendue à autre chose de sa part en commençant sa lecture.
Elle posa le rapport sur la table, l'ouvrit à la page qu'elle désirait être signée, posa le stylo-bic sur celui-ci comme pour transmettre un message silencieux au réveil du jeune homme et sauta d'un pas léger de la table sur la moquette. Elle chercha des yeux en siège, et n'ayant pas envie de déplacer l'imposant fauteuil en cuir réservé aux inexistants visiteurs officiels de John, elle se contenta de s'asseoir par terre, le dos contre le pied du fauteuil de John. Elle leva le regard vers lui. Il n'était pas du genre à noter les évènements bizarres comme le fait qu'ils s'endorment tous les deux en même temps, de toute façon. Et puis qu'est-ce que ça aurait pu faire?
Elle prit sa main et entrelaça leurs doigts pour être sûre de ne pas le lâcher durant leur sommeil et ferma les yeux.

Lorsque John ouvrit la porte verte - car il allait forcément l'ouvrir, n'est-ce pas? - ce fut Luo qu'il trouva derrière.
Luo qui lui fit un ravissant sourire. Luo qui était parfaitement dans son élément, dans son monde aux couleurs de l'arc-en-ciel. Si elle avait été dans son propre rêve, elle aurait pu transformer le décor en sa fête foraine habituelle, mais ils étaient dans la tête de John. Elle n'était qu'un visiteur dans son subconscient. Quand je vous disais que Freud l'aurait adorée.
" Bonjour, John! Alors comme ça, vous me faussez compagnie alors que j'essaie de vous faire travailler? " lui fit-elle d'un ton plaisant, se retournant derrière elle pour examiner la pièce dans laquelle elle se trouvait. " C'est très joli, chez vous. "

Tiens, une femme. Elle lui disait quelque chose. Voyons, voyons.. Était-ce Katherin, sa dernière conquête, celle d'hier? Mon Dieu, ce qu'il pouvait détester qu'une fille lui courre après une fois qu'il avait signifié que c'était fini! Bien sûr, il aimait les femmes, mais si elles l'aimaient toutes en même temps il n'avait plus de temps pour personne, pourquoi ne comprenaient elles pas une chose aussi simple? Mais très vite il comprit que ça n'était pas cette chère Katy. Bon alors. Ha, si seulement Luo avait été là! Il lui aurait suffit de claquer des doigts et sans doute elle aurait sorti d'une grande armoire une fiche cartonnée avec toutes les informations nécessaires, des tartines d'ennui imprimées petit, mais enfin, Luo n'était pas là, donc il faudrait faire sans.
Il s'avança vers l'inconnue et porta un index à sa bouche.
" Chhuuut. Si vous parlez trop fort Luo va nous trouver. Elle est horrible avec moi vous savez? Il faut toujours qu'elle me tourmente avec le travail alors que j'aimerais juste lui dire ' franchement, je m'en fiche, Luo, et si on jouait au trivial poursuite à la place... ' "
Soudain, le costume bien ajusté de John tomba en lambeaux, ses chaussures de cuir se liquéfièrent et coulèrent le long du parquet comme un petit ruisseau d'encre. John tendit les bras devant lui. Les longues manches d'un pull trop grand formaient des plis mous au niveau des poignets. Il baissa les yeux. L'élégant pantalon noir achevait de redevenir poussière, à la place il portait un jean droit, quant à la couleur, il n'aurait su dire... Attendez une seconde. C'était des converses qu'il avait aux pieds?
Comme en réponse à cette muette interrogation, le mur du fond ondula et réfléchit la scène comme un miroir. Seigneur. Elles étaient vertes, ces converses... Il fit un tour sur lui même, fixant son image parfaite avec un air incrédule.
" Hé, vous avez vu ça? Vous avez vu ça? " Il répétait encore et encore, s'accrochant à Luo avec une expression perdue. Il avait peur. Il cacha son visage derrière ses doigts et ses mèches blondes en débitant d'une voix suppliante ' vous avez vu ça, vous ave... '

Ludivine regarda d'un air perplexe le jeune homme se cacher derrière ses doigts comme si sa soudaine métamorphose le terrifiait, et posa une main hésitante sur ses cheveux, les lui ébouriffant maladroitement. L'espace se teinta très lentement de noir, comme si de l'encre coulait des rideaux, et elle tapa du pied pour éloigner la noirceur qui s'emparait sans raison du cerveau de John.
" Voyons, ils vous vont très bien ces vêtements, John... " lui fit-elle à l'oreille comme on ferait pour rassurer un petit garçon. Elle lui frotta le dos d'une main sûre, lui fit un sourire. Qui devint même un petit rire devant l'air de petit garçon qu'elle lui connaissait si bien et qui apparaissait soudainement. On aurait dit qu'il avait peur d'un monstre qui se serait caché sous son lit. Elle se laissa tomber sur un canapé qu'elle n'avait pas vu jusqu'alors, mais qui était juste derrière eux, y asseyant John par la même occasion.
Il ne l'avait pas reconnue. Peut-être était-ce le rêve, l'alcool ou tout simplement sa mauvaise mémoire, il la prenait pour une inconnue. C'était peut-être pas plus mal. Alors comme ça la méchante Luo était horrible avec ce pauvre John, hum?
Elle jeta un oeil dans le miroir en face d'eux, qui les entourait désormais. Ils étaient dans une pièce fermée entourée de miroirs - pas de portes à l'horizon. Ca ne l'affolait pas vraiment. Si l'un d'entre eux voulait sortir, il trouverait forcément un moyen, ce n'était pas les portes qui manquaient dans la tête de quelqu'un. Surtout pas dans la tête de quelqu'un comme John.
Ses cheveux avaient repris la couleur de l'arc-en-ciel qu'ils arboraient dès qu'elle rêvait. Une barrette en forme de licorne magique était apparue dans ses cheveux. Elle esquissa un sourire. Une licorne magique... Merci John. C'était pas une invention à elle, ça.
Elle enleva la barrette de ses cheveux et l'attacha gentiment à une mèche de John pour lui dégager le visage.
" Regarde, c'est Lyra la licorne magique. Elle porte bonheur, il peut rien t'arriver tant que tu la portes " lui fit-elle d'un air très convaincu en désignant la licorne rose dans ses cheveux, qui hennit en retour. " Tu vois, elle est d'accord avec moi! Mais n'enlève surtout pas Lyra, sinon des choses horribles pourraient t'arriver " menaça-t-elle.
Elle adorait ces rêves.

Lyra? John était perplexe. Il regarda sans comprendre. Pourquoi la traitait-il comme un petit garçon, tout à coup?
Plein de fureur, il arracha l'objet et le jeta au loin, contre un miroir, mais bien que le mur réfléchissant soit proche et que la barrette eut traversé l'espace à une vitesse normale, on entendit le bruit de la collision que 17 longues secondes plus tard.
Les grands, grands yeux bordés de blond de John étaient profonds, brillants, plein de colère, et d'ailleurs John lui même semblait plus jeune, il n'avait plus ses cicatrices, sa barbe était inexistante, et sa mâchoire plus juvénile. Il fixe sur Luo son regard de possédé.
" Vous me prenez pour un fou hein? Haha, tu l'as dit! - bizarrement, il semble qu'une voix inaudible pour tout autre que John lui fasse la conversation dans sa tête, et sans doutes il attribue cette voix à sa malheureuse secrétaire juste en face de lui - Mais je ne suis pas fou! Vous savez que ça fait d'être moi? Vous pensez sans doutes que je ne vois rien parce que je suis toujours saoul, mais je vois très bien! Les ivrognes voient même ce que les gens sobres ne devineront jamais, mais tout ça, tout ça...! "
Il pleure, convulsivement. Puis redresse le menton et bizarrement il n'y a aucune larme ni aucune trace de pleurs sur son visage.
" Luo, Luo, chantonne-t-il d'une voix douce, en tendant la main vers ses cheveux, qui sont redevenus noirs et sur lesquels il tire, c'est toi? "
Il se roule en boule, pose la tête sur les genoux de la jeune femme, et se met à ronronner, en enroulant les mèches autour de son doigt. La pièce est morne et grise, avec une moquette bleue par terre, pas un joli bleu, plutôt le genre de bleu anonymes des salles d'attente, comme de l'encre violette qui aurait passé.
" Luo, tu ne me feras plus jamais faire de dossiers dis? Luo, pourquoi tu ne fais pas comme les autres, pourquoi j'ai jamais le droit de te toucher, hein? Je ne te plais pas? "
On a perdu John

La jeune fille regarda tranquillement John tempêter, attendant qu'il se calme pour ouvrir la bouche. C'était un petit garçon qui jouait à l'adulte où le contraire. Mais il n'était jamais là où l'on pensait qu'il serait. C'était peut-être la seule règle que l'on pouvait tirer de la fréquentation de ce garçon. Elle le laissa tirer ses cheveux à la triste couleur noire à présent, se recroqueviller sur ses genoux comme s'il attendait qu'elle le console ou plutôt non, puisqu'il ne voulait pas être considéré comme un gamin.
Elle tira les cheveux hors de sa portée alors qu'il marmonnait ses plaintes, parce que sans s'en apercevoir, il lui faisait mal, le bougre, son même petit sourire sur son visage, un sourire un peu passé, amusé mais figé, rassurant sans que cela en soit le but. Elle lui caressa inconsciemment les cheveux. On était dans un rêve, et quoi qu'il se passe, elle serait la seule à s'en souvenir clairement. John se dirait juste qu'il avait rêvé de sa secrétaire ou ne se souviendrait peut-être même pas du rêve. C'était de plus en plus fréquent, quand on grandissait. Elle était seule à se souvenir de cette vie parallèle incontrôlable qui naît dans notre cerveau durant le sommeil.
Ses doigts coururent le long de ses cheveux, derrière son oreille, sur son front, entortillèrent quelques mèches. Il avait les cheveux blonds et propres d'un petit enfant. Ils sentaient le savon. Rose&fils...
" Mais si, tu me plais " fit-elle, amusée, chuchotant comme si elle devait cacher ça de quelqu'un. " Tu me plais beaucoup. C'est même pour ça que je suis à la Waldon, tu sais. Mais j'ai pas envie de faire partie de ton tableau de chasse, tu vois? Tu as une idée de la réputation que tu as dans l'entreprise? Et puis tu as toues les filles que tu veux, alors c'est pas moi qui vais faire une grande différence "
Peu importait si elle lui disait ça maintenant. Même si par miracle il s'en souvenait vraiment, ils mettraient ça sur le compte du rêve.
" Et tu sais, je ne t'aurais pas lu ces dossiers si tu les avais signés. C'est rapide, tu sais? Et je ne peux pas aller déranger Mrs. Felton pour quelque chose comme ça. C'est rapide et ça donne une crédibilité officielle à l'entre... " Elle s'arrêta. " En fait on s'en fout tous les deux hein? La crédibilité tout ça... "
Elle eut un rire et enleva la main de ses cheveux.
" Tu sais que ça sent le savon chez toi? Je pensais que c'était tes cheveux, mais y a vraiment une odeur de savonnette "

Ces paroles eurent un effet apaisant. Il ne savait pas trop à quel moment cela c'était produit, mais les miroirs avaient disparu. Maintenant c'était très clair, très haut de plafond, avec un invraisemblable rideau qui ondulait lentement dans une brise marine. Tout devint très bleu et très blanc. John se détendit, s'allongea sur le dos, les mains croisée sur son ventre et les yeux fermés. Il ne ressemblait plus à un enfant qui a peur. Plutôt à un joli jeune homme qui farniente chez sa copine - ou plutôt sur sa copine, en fait -
" C'est pas ma faute, s'excusa-t-il légèrement. Mais tu vois Luo, chez une fille il y a une chose très précise que je cherche. J'en voudrais une qui m'aime complètement, qui m'ait dans la peau, je voudrais qu'elle soit prête à se damner pour moi. Alors je teste, je teste, je regarde jusqu'où elles vont mais... Il baille, elles finissent toujours par partir en hurlant que je suis dérangé. Moi je ne leur demandais pas de continuer, si ça ne leur plaisait pas, elles peuvent partir. ( cette liberté que prenait parfois John avec l'accord des temps était un petit défaut qu'aucun précepteur n'avait jamais su corriger - ) Et puis j'men fiche de ma réputation. ça ne m'empêche pas d'avoir ce que je veux... Et ce que je veux maintenant, c'est toi. "
Il sauta sur ses pieds, en s'étirant les mains jointes, et marcha vers la fenêtre ouverte. Insouciant et frivole, un vrai lycéen. Il semblait avoir complètement oublié ce qu'il venait de dire. Une glace se matérialisa dans sa main droite. Fraise Caramel. Deux parfums qui n'allaient pas ensembles. John l'aimait bien, ce décor, il décida que ce serait le dernier.
" Mon Père a une très grande entreprise de savon. Je suis très riche tu sais ( sa figure s'éclaira, et vraiment il avait l'air d'un enfant ) Mais bon, Père veut que je reprenne l'entreprise familiale, ce qui m'ennuie horriblement ( son expression devint morne, et lécha activement sa glace en semblant oublier le monde extérieur ). Mais j'aime bien l'odeur de nos produits. ça me rappelle ma jeunesse. "

Elle sourit.
" Tu es encore jeune, tu sais? "
Regrettant un peu la présence chaude des cheveux de John sur ses genoux, Luo se redressa néanmoins, et s'assit en tailleur sur le canapé de cuir, regardant John suçoter sa glace devant elle, juste devant les rideaux qui s'agitaient sous le courant d'air. Derrière la fenêtre ouverte, le clapotis des vagues se faisait discrètement oublier. A l'odeur de rose avait succédé celle d'iode, qui piquait légèrement le nez. Allez savoir pourquoi, elle portait à présent une étrange robe longue bleue, griffée d'un grand couturier, mais elle n'arrivait pas à se souvenir depuis quand exactement. Une impression qu'elle connaissait bien. Sans s'en soucier.
Elle arrangea un peu les pans de sa robe en le regardant. On aurait dit un lycéen dans sa maison de vacances, l'été. Loin, très loin de la grisaille de Londres où ils s'étaient endormis. Elle aurait presque eu envie de piquer une tête, sauter par la fenêtre et aller se baigner dans la mer, la mer rouge tiens, ce serait bien, on disait qu'il y avait plein de beaux poissons colorés dans le coin.
Elle l'examina et se tritura une mèche. La barrette Lyra la licorne magique gisait à ses pieds. Elle était vraiment moche maintenant qu'elle y pensait.
" Tu exiges ça d'une fille " commença-t-elle d'une voix douce, tranquille. " Mais tu serais prêt à faire la même chose? Te damner pour elle? Si tu n'es pas prêt à faire quelque chose, il ne faut pas s'attendre à ce que quelqu'un le fasse pour toi. Les filles, l'amour, les sentiments... C'est compliqué. "
Elle soupira. Elle soupirait beaucoup.
Et eut une petite moue.
" Je peux avoir une glace, moi aussi? "
Elle tendit la main vers lui. Il n'y avait pas de boîte de glaces quelque part, ni même de réfrigérateur. Néanmoins, elle n'aurait sans doute aucun problème à avoir sa glace. Ce n'était pas des choses bassement matérielles comme ça qui allaient l'arrêter. Seulement, dans la tête de John, elle ne pouvait rien faire apparaître de son cru. C'était lui qui contrôlait tout. Presque tout.
" Parfum noix de coco, si tu as. "

" Noix de coco? Je peux faire ça moi? "
Il n'avait pas vraiment, comment dire... fait apparaître ce cornet de glace. C'était pas un grand restaurant ici, il ne suffisait pas de héler le serveur et on vous apportait ça sur un plateau d'argent. Il avait marché et sa caramel fraise était apparue comme ça. Une manne. Divin, c'est toi? Mais Dieu ne répond pas.
Mais, tiens! Alors même qu'il était en train de réfléchir au moyen de satisfaire la requête de Lio, un énorme cornet s'était matérialisé dans sa main gauche. Il considéra ce prodige qu'il avait accompli. Aucun doute à présent. Si Dieu n'avait pas répondu, c'est parce que Dieu, c'était lui.
Il goûta prudemment sa sucrerie. Elle lui sembla bonne à manger.
" Tiens " sourit-il avec une étrange nonchalance en tendant à Luo sa glace.
Il lui tourna le dos et tira le rideau à demi fermé. Il y avait un petit balcon blanc et nu et il s'accouda à la balustrade. Il commença à parler sans avoir vérifié si sa secrétaire était toujours près de lui. Il lui semblait évident qu'elle l'avait suivi.
" Non, répliqua-t-il, les filles ça n'est pas du tout compliqué. Elles s'imaginent qu'elles sont compliquées parce qu'elles ne sont jamais satisfaites, mais je vais te le dire, les femmes ce qu'elles veulent c'est une panthère en laisse. "
Oh, Dieu! Enfin : Oh, John! ça lui rappelait ses années de lycée. Le pull devint chemise et un genre de cravate étroite et froissée retomba mollement de chaque côté de son col.
" Elle veulent, continua-t-il, Hé bien... Je ne sais pas moi. Papa. Un héros. Di.. John. Elles voudraient un fauve qui viendrait au pied quand elles le demanderaient. Et moi... Moi je ne veux pas de fille sauvage. J'aime qu'on m'aime, c'est tout. C'est si bizarre que ça? "
En sa qualité divine, John n'attendait pas d'approbation ni de désapprobation. Les fidèles n'avaient qu'à verser des larmes d'adoration en contemplant son doux visage, ça lui suffisait.
Il se laissa tomber sur le sol de marbre, ses mèches lui tombèrent encore devant les yeux. Finalement, il aimait bien qu'on lui touche le crâne.
" Dis, Luo, tu veux pas me caresser encore les cheveux? C'était très agréable, je trouve. "
Il enfonça légèrement la tête dans ses épaules, le menton en avant, comme un chat qui demande une caresse.

Luo baissa le regard vers lui, accoudée de dos à la balustrade, son cornet de glace entre les doigts, l'écouta en silence. Sembla songeuse. Se retourna vers la mer, tritura le cornet de sa glace, mordit dedans. Le froid de la glace attaqua l'émail de ses dents, elle frissonna mais avala rapidement. Une sensation de froid descendit dans sa gorge. En bas, la mer allait s'écraser en grandes vagues majestueuses contre des rochers escarpés. On se serait cru sur une île grecque, dans un téléfilm du dimanche ou dans la demeure du beau Jean-Edouard dans Amour, Gloire & Beauté. Au moins.
Elle tira la langue et attrapa un petit bout de glace à la noix de coco. Elle n'était pas si bonne que ça, finalement. Elle la lâcha dans le vide, et celle-ci alla s'écraser contre le rocher d'où elle disparut presque immédiatement, avalée par les vagues. Elle s'était dit que John avait peut-être un petit aménagement intérieur de nettoyage, comme des petits oiseaux bleus qui viendraient passer l'éponge sur les taches pour qu'il les oublie immédiatement, mais elle n'avait pas pu tester cet aspect de son fonctionnement.
Elle se tourna. Sourit. Et se laissa glisser le long de la balustrade du balcon lorsqu'elle entendit les mots de John. Elle étendit ses jambes devant elle et admira deux jolis escarpins blancs au bout de ses pieds. Elle en ôta un et agita les orteils. Jolie manucure. Elle devrait rêver avec John plus souvent, c'était la grande classe.
Tandis que sa robe se raccourcissait progressivement, passant de la robe de cocktail à une tunique décontractée de jeune lycéenne en vacances, elle se tourna vers John et passa la main dans ses cheveux, les ébouriffant doucement avec un demi-sourire qui sentait la glace. Voilà qu'il était passé en mode chat domestique. Ça n'était pas plus mal.
" Mais toutes les filles t'aiment, John " rit-elle un peu. " C'est ça ton problème. Les filles t'aiment parce que tu es mignon et drôle, que tu es bien né et riche. Mais puisqu'elles t'aiment tous, ça fait des bouchons, c'est ça? Ca fait trop de filles idéales pour toi... Je suis sûre que plein de filles se seraient damnées pour toi. "
Sa main passa derrière son oreille, comme si elle lui flattait l'encolure.
" Mais peut-être que c'était juste des amourettes pour elles... Tu es tellement changeant, comment veux-tu qu'elles aiment toutes les facettes de ta personnalité si tu n'es jamais le même? "
Sa main glissa dans sa nuque.
" Les filles voudraient comprendre comment tu marches. Mais je ne suis même pas sûre que tu comprennes toi-même. "

" Rrr "
John plissa les yeux de plaisir, donnant comme de petits coups de tête dans le vide, vraiment, il ne lui manquait plus qu'un collier avec une plaque gravée ' Moka ' ( ou Caramel ou Socrate, un nom de chat quoi ) et on pourrait dire qu'il avait complètement renoncé à son humanité.
" Tu sens bon Lu-o " chantonna-t-il en détachant bien ses syllabes. Il frotta sa joue imberbe contre la joue de la jeune femme. Voilà bien les sensuels. On les flatte là où il faut et c'est comme si on leur avait retiré la colonne. Ils perdent toute volonté, s'affaissent, s'affaissent, et c'est entre la douleur et le plaisir. Oh, oui, sur la nuque, il aaadoooraaait sur la nuque.
" Mais les filles elles aiment mal, Luo, soupira-t-il dans le vague en laissant traîner sa main sur la jambe se sa propriétaire ( je dis propriétaire, entendons nous bien, John présente pour l'heure toutes les caractéristiques de l'animal de compagnie, et en plus il est propre ) Vous voyez, Lewis, ce sexe croit qu'aimer quelqu'un ça consiste à savoir simplement rester ensembles en se fixant dans le blanc des yeux. Elles veulent tout comprendre de moi, qui ne fais que m'amuser. J'adore m'amuser Luo... J'ai besoin d'un bon compagnon de jeu. Pas d'une jolie anglaise qui se contentera de rester belle et de m'écouter parler... - Oh OUI, derrière l'oreille, ouiiiii - Mais bien sûr qu'elles m'aiment toutes. Même toi Luo je suis sûr que tu es folle de moi, tu devrais arrêter de faire semblant d'être insensible, tu vas finir par être frustrée, et pour te venger tu me feras signer encore plus de dossiers. "
Fallait pas qu'elle le prenne comme une insulte. Mais c'était la force de l'expérience quoi. Qui aurait résisté à John? À qui John aurait-il bien pu résister? S'il n'aimait pas Luo, c'était peut être aussi parce qu'il se sentait obligé de la respecter, mais ce genre de respect qu'on a pour un adversaire de valeur. Elle avait déjà tenu 6 mois et 7 jours. Il avait compté.
La tunique n'allait pas du tout à Luo. John réfléchit quelques instants au genre de tenue dans laquelle il voulait la voir. Et pourquoi pas une simple grande chemise. Oui, se dit-il, ça sera très bien, une bien longue, avec tiens, disons, une culotte à rayures. Bleues, bien sûr.
Ainsi avait décidé Dieu. Et ainsi fut il.

" Mais oui, je suis folle de toi " sourit-elle. " Comme tout le monde. "
Elle disait ça comme elle aurait dit qu'elle aimait les framboises. En souriant et en prenant ça comme une évidence. Ou comme si, tout simplement, elle ne le prenait pas au sérieux. Qui aurait pris au sérieux une discussion avec son animal de compagnie, de toute façon? Elle fit glisser ses pieds à présent nus sur le marbre rosé du sol pour les recroqueviller un peu plus contre elle, mais pas trop, juste pour décoller ses cuisses du sol, parce qu'il la dévêtissait le John au fur et à mesure que le temps passait, mais ce n'était pas grave, who cares? Le marbre était frais sous ses pieds. On aurait dit un jeune couple de riche adolescents, un matin d'été, dans le soleil de cette grande pièce blanche et vide.
Si l'esprit de John ressemblait à ça, elle voulait bien aller y faire un tour tous les jours, dites.
Sa main courait toujours dans ses cheveux. C'était agréable. Ses cheveux étaient doux, c'était comme se balader dans un champ, un peu piquant mais agréable. Elle le sentait presque ronronner sous ses doigts, frissonner, réagir à chaque mouvement de ses doigts qui dessinaient des spirales sur sa peau. Elle le regarda, il s'affaissait presque, il était beau dans sa chemise blanche, un ravissant petit garçon, l'amant que toutes les jeunes filles voudraient avoir et la coqueluche galante des vieilles dames. Le mauvais garçon à tête d'ange qu'on ne peut pas s'empêcher d'adorer. Tout le monde aimait John. C'était triste, c'était comme ça. Elle n'était pas une exception.
" Tu vois, John " commença-t-elle doucement en chatouillant son oreille. " Tu veux t'amuser mais tes jouets, tu les casses. De n'importe quelle façon, je ne sais pas comment, mais tu les casses. Et je n'ai pas envie que tu me casses, moi. Tu comprends ça non? Je ne sais pas comment tu t'y prends parce que toutes les filles ne sont pas stupides mais à part Mrs. Felton, elles ont toutes gardé un mauvais souvenir de toi "
Elle sembla songeuse un instant et posa la tête entre son épaule et la barre du balcon, regardant le haut plafond et l'encadrement du balcon d'un air songeur. Le ciel était bleu, d'un bleu presque irréel, un bleu photoshop, un bleu de série télé.
" Je n'ai pas envie de garder un mauvais souvenir de toi. Je t'aime bien John, mais je préfère continuer de juste bien t'aimer. Tu n'as qu'à rêver d'une très jolie fille, si tu veux t'amuser."
Elle réfléchit un instant.
Puis soudain, se colla un peu plus contre John avec une moue.
" Quoique. En fait ça m'embêterait " décréta-t-elle. " Et puis on s'en fiche en fait, on est dans un rêve et tu ne te souviendras pas de cette conversation, très probablement, je peux dire toutes les âneries que je veux "
Elle eut un rire léger, sembla soudain s'apercevoir de quelque chose. Elle fronça les sourcils et souleva légèrement le col de sa chemise.
" Hé, tu aurais pu me mettre un soutien-gorge! " lança-t-elle.

" Oups, zut alors " répliqua John dans une imitation pas du tout convaincante du type qui en a quelque chose à faire.
C'était compliqué aussi, tout cet harnachement féminin! ç'aurait été tellement plus simple sans tous ces bas, ces porte jarretelles, ces culottes froufroutantes, ces gaines... Ma soeur, ma soeur, pense John,va nue ou en Jean, mais ne marche jamais dans la mode, ça porte malheur.
Luo dit quelque chose. Finalement ça l'embête? Trop tard. La ' très jolie fille ' était sortie du marbre comme vénus qui sort des eaux. John regarda sa création avec un air satisfait. Il l'avait créée sur le modèle d'un amour de vacances, en corrigeant juste un petit défaut de son sourire... La nouvelle venue était blonde - il aimait les blondes - grande, très mince, avec un visage ferme et anguleux, des pommettes hautes, la mâchoire carrée, et surtout, des yeux d'un bleu invraisemblable, perçants, oui, un bleu laiteux presque, et pourtant c'était sans truquage, tout était tel que dans son souvenir.
Juliet ( elle s'appelait ainsi, si sa mémoire ne lui faisait pas défaut ) fit un tour sur elle même. Elle était hitchcockienne, vraiment. Sa bouche vira carmin et un halo couleur taupe cercla ses belles billes bleues.
" Julie... Heu, Juliet... " marmonna John en tendant les bras vers sa jolie créature.
Ouais, y'avait pas à dire, John Rose rêvait grand standing. Son ancienne petite amie vient se nicher contre lui et il fallait dire qu'ils formaient un très joli couple, bien assorti, ils avaient ce même blond doré...
" Elle est pas mal hein? Mais alors par contre, au lit, ça n'allait pas du tout... - Il avait l'air piteux - une adepte du sadomasochisme... se lamenta-t-il en se grattant machinalement les poignets, comme s'il voulait faire disparaître la marque d'une vieille blessure, abominable, tu penses que tu vas passer une nuit super avec une fille toute mignonne et soudain elle débarque avec une paire de menottes et un fouet et elle t'explique qu'elle va te laisser un souvenir cuisant, mon cochon.. haaa. "
Il se colla un peu plus contre sa secrétaire, en plaquant ses paumes sur ses joues rouges de honte.
" Toi aussi Luo, tu as des tendances sadiques. Quand je serai réveillé je ne me laisserai plus faire, tu verras ça. "

Luo se décala un peu sur le côté lorsque John se rapprocha d'elle, faisant la moue, en fixant la créature blonde qui avait tout de la ravissante idiote qui ne pipait mot. Ce n'était pas la faute de l'originale, la pauvre. Mais celle-ci n'était guère qu'une copie muette, qu'une image passée de l'originale, et elle n'attendait pas une grande répartie de celle-ci, quoi qu'elle eut pu parler en fait - mais John n'attendait pas d'une fille qu'elle discute trop, pensait Luo, alors probablement ne dirait-elle rien. Elle examina sa presque rivale d'un air presque réfléchi, lui prenant une mèche et la comparant à celles de John, et eut un léger sourire lorsque John évoqua les tendances de celle-ci. Une fille qui avait l'air si innocente, vue comme ça. Rien que de s'imaginer ce pauvre John menotté au lit...
Luo lâcha la mèche de la jeune femme et se piqua un petit rire qu'elle cacha dans son poing, coulant un regard en biais au malheureux John rougissant qui se rapprochait d'elle.
Elle l'écarta d'une petite tape du plat de la main sur le front.
" Qu'est-ce que tu racontes? Je suis tout à fait respectable au lit, moi... "
Elle jeta un regard à la belle blonde qui, collée contre John dans le renfoncement du balcon, continuait sa pantomime de jeune femme innocente, grands yeux bleus presque écarquillés, bouche à croquer, sans dire un mot pour sa défense. On l'imaginait mal en cuissardes pointues et combinaison de cuir.
Luo tourna un air réjoui vers John.
" Mais en te voyant rougir comme ça, c'est vrai qu'on a envie de te martyriser, tu sais "
Elle étendit ses jambes devant elle, examina une manucure délicate et transparente de ses orteils. Elle réfléchit un instant et différentes couleurs défilèrent sur ses orteils, vert pomme, turquoise, rose pâle, violet, bleu clair, s'arrêta finalement sur un rouge frais, sourit, agita un peu ses orteils, et se retourna à nouveau vers le jeune homme.
" Si elle était de ce bord-là, pourquoi c'est elle que tu as appelée? "
Elle se pencha un peu vers la fille, l'examina sous toutes les coutures.
" Ou alors c'est juste une image? C'est vrai qu'elle est bien mignonne. Pas vraiment mon type remarque mais c'est toi que ça concerne " Elle pointa un index vers John. " Mais pour prendre du bon temps, crois-moi, en rêve c'est pas drôle. Pas drôle du tout. Aucune surprise. Même si tu penses être surpris, au final, c'est ton esprit qui construit ça. Enfin, c'est toi qui voit "
Ses épaules s'affaissèrent légèrement, elle se sentait plus détendue, elle renversa la tête en arrière et regarda le ciel.

" Ha? Tu as déjà essayé, Luo? "
Il essaya d'imaginer Luo en train de faire un rêve érotique. Bizarrement, il n'avait aucune difficulté à visualiser la situation. Une fille comme Luo devait sûrement être romantique. Il était presque sûr qu'elle attendait en secret son prince charmant. Mais le bonnet B condamnait en général à des parcours sombres et désabusés auxquels les rêveuses auraient mieux fait de s'habituer de bonne heure. Quels genre de garçons avaient bien pu sortir avec une petite naïve comme Ludivine?
" C'est quoi, ton genre de garçon, Luo? À part moi, bien sûr. "
Juliet roucoula et embrassa John dans le cou. John Rose se concentra. C'était difficile de se concentrer quand une jolie fille format mannequin vous soufflait dans l'oreille, mais il sentait au fond de lui qu'il n'obtiendrait pas grand chose de Luo et il avait envie de s'amuser un peu. Sa vie était déjà assez difficile comme ça, alors s'il fallait aussi être sérieux dans ses rêves...
" Tiens, c'est bizarre d'ailleurs! J'ai l'impression que ce n'est pas la première fois que je rêve de toi. Mais c'est rare que je rêve d'une fille et je ne suis pas amoureux de toi, alors... Il fixa le bleu du ciel. Un petit nuage blanc apparut avec un ' pouf ' moelleux, c'est peut être en rapport avec ton don? "
Que John fasse preuve d'un tel esprit déductif était rare. Relier deux informations entres elles était d'ordinaire très, très difficile pour son esprit engourdi par l'alcool. Quoi que, il avait parfois de surprenants éclairs de lucidité. Il avait fréquenté de prestigieuses universités après tout. Oxford, ou peut être bien Cambridge, qui sait. Il confondait un peu les deux. De toute façon il avait eu un piston. Enfin, ce qui se passait dans cette caboche était obscur même pour le principal intéressé. Lui même se disait parfois qu'il était un peu simplet. C'était une pensée déplaisante. La blonde s'évapora et une version plus grande, plus pulpeuse, et mieux coiffée de Luo prit sa place.
ça, c'était pour les dossiers.

Ludivine se piqua d'un petit rire. Un rêve érotique? Pas vraiment. Elle s'étala un peu plus contre la barrière, étirant ses bras devant elle comme si elle se réveillait d'une bonne nuit de sommeil et était partie pour une autre journée. L'amour, ça n'était pas son rayon. Les rêves valaient mieux que le french kiss dégoulinant d'un adolescent passé en mode sangsue, elle s'y était vite faite. Si elle craquait légèrement sur John, elle n'avait néanmoins pas perdu le sens des réalités - de ses réalités. C'était comme ça. Si elle n'avait rien contre son existence réelle, elle se sentirait toujours mieux dans ses rêves. Elle pouvait y être artiste, moine, chanteuse, créatrice, sujet, brin d'herbe et ciel tout à la fois, rien n'avait plus de limite et elle n'avait jamais vécu de sensation plus grisante que celle-ci dans le monde réel. Elle se tourna un peu vers John et ressentit malgré elle un soupçon de mécontentement en voyant la blonde - ou Juliet, puisque c'était son nom - l'embrasser dans le cou, l'air aux anges. Bécasse va.
" Quand j'étais adolescente, j'ai voulu voir ce que c'était que d'embrasser un garçon et j'ai essayé en rêves. Ça n'est pas vraiment allé plus loin. Ça n'avait aucun intérêt " fit-elle tranquillement, avant d'avoir un rire. " Même quand j'ai découvert ce que c'était en vrai, ça n'avait rien d'exceptionnel "
Elle attira ses jambes à elle, commençant à avoir un peu froid contre le marbre rosé du sol, et s'assit en tailleur, rabattant les pans de sa chemise exagérément grande sur ses jambes et leva le nez pour examiner le lustre de cristal qui pendait du plafond. Les pendeloques translucides étaient immobiles. Pas un souffle de vent ne les faisait bouger, contrairement au rideau bleu qui, rangé à leurs côtés, remuait de temps en temps sous la brise marine. Bizarrement, cette immobilité l'intrigua. Fixant le lustre, elle fit d'une voix étrangement déconnectée.
" Mon type de garçon... Je crois que j'aime bien les grands blonds. A la peau pâle. Je préfère les gentils garçons, ils me font penser à des anges. Les bad boys, c'est trop de boulot. Je suis pas très portée sur l'érotisme aussi " fit-elle d'un ton plat. Ce lustre était vraiment fascinant. Elle finit par secouer la tête et se reconcentrer sur John et sa belle blonde, ayant juste le temps de la voir s'évanouir pour se transformer en une version améliorée d'elle. Elle la fixa, fronça les sourcils et détourna le regard vers John. C'était sensé vouloir dire quoi, ça? Qu'elle devrait porter des échasses et se botoxer les lèvres ( et arrêter les teintures ) pour lui plaire? Elle détourna les yeux d'un air un peu vexé et s'aperçut soudain qu'elle portait maintenant un jean et une sorte de pull bleu informe - ça avait sans doute une signification profonde concernant son état d'esprit, mais elle n'avait pas une folle envie de l'analyser maintenant - et haussa les épaules en entendant la question de John concernant son don.
" Si. Quand on s'est rencontrés. J'ai du t'en parler et tu as du oublier. Je peux rentrer dans les rêves des gens et c'est pas la première fois que je rentre dans les tiens, mais pour toi, c'est comme si tu rêvais de moi alors ne te prends pas trop la tête là-dessus. Tu ne te souviens presque jamais de tes rêves alors même si je te dis ça, tu l'oublieras probablement dès ton réveil " fit-elle en agitant la main pour montrer que ce n'était pas très grave. " Moi par contre je m'en souviendrai. Mes rêves sont lucides, je m'en souviens aussi clairement que dans la vraie vie. Enfin, on s'en fiche un peu "

La version améliorée de Luo ouvrit la bouche. Non, cette bouche n'était pas botoxée, c'était la même. John avait juste regonflé un peu son décolleté en fait.
" Les dossiers? Mais bien sûr que nous allons les brûler ensembles mon cher John " articula-t-elle en penchant la tête sur le côté avec une voix douce et agréable, avant de se remettre à lui caresser la tête avec entrain comme l'originale l'avait fait quelques minutes plus tôt.
" Moi, je ne m'en fiche pas, répliqua John en fixant ses ongles, les doigts tendus. Ses ongles qui avaient viré bleu ciel, d'ailleurs. Hé bien quoi, il aimait bien le bleu, et pourquoi pas? ça ne lui allait pas? Et d'ailleurs, si tu as trouvé que ça n'avait rien d'exceptionnel, c'est sans doutes parce que tu ne t'es pas faite embrasser par les bons. Ceci dit, sans vouloir te vexer, les garçons n'aiment pas trop les filles comme toi... finalement, arc-en-ciel, ce serait plus joli, parce que tu es décalée. C'est un peu stupide mais ça les effraie. Mais si tu veux j'ai un frère qui est un peu comme moi version sain d'esprit, il est juste moins beau. J'pourrais vous brancher.
Haha, ce cher Herbert. Certes, il manquait un peu de modestie, et il avait un prénom de merde, mais c'était un beau gars à l'avenir chiant et prometteur. En fait il aurait adoré voir Luo et Herbert ensembles. Pour pouvoir tyranniser Luo lors des repas familiaux entres autres. Peut être aussi pour lui en mettre plein la vue. La famille de John n'était pas vraiment du genre pouilleuse, faut dire.
Herbert se tint soudain debout et raide devant eux, l'air absent et agrippé à une canne noire.
" Je ne sais pas trop qui a réussi à convaincre mon frangin que la canne lui donnait un air aristocratique. Depuis il en a toujours une sous le bras, s'excusa John. Mais je le soupçonne de faire ça parce qu'il trouve que c'est très drôle en fait. C'est mon frère, comment savoir... "
Il ressemblait en effet beaucoup à John. Juste un peu plus jeune peut être, mais avec un air plus viril, des yeux clairs, et des cheveux courts bien coiffés, bref, il inspirait la confiance et respirait la bonne santé. Tout le contraire de son aîné, quoi.
" Par contre il étudie le droit, nul n'est parfait. Mais toi qui adooooores la paperasse, je suis sûre qu'il te ferait décoller rien qu'en te lisant le droit du travail. "

Des moufles se matérialisèrent autour des mains de Luo. Elle fronça les sourcils, les enleva avec les dents et les envoya sur Herbert, qui ne broncha pas, se contentant d'avoir un infime mouvement de recul, toujours aussi agrippé à sa canne. C'était vrai qu'il était mignon et respirait la santé. Le gendre idéal, quoi. Bizarrement c'était peut-être ce genre-là qui plaisait le plus à Luo. Parce que dans un couple, deux personnes trop décalées, ça finit par se croiser sans jamais se rencontrer et ça marche pas. Il faut un minimum d'équilibre. Et puis elle avait toujours été fascinée par une certaine forme de normalité. Une certaine manière de faire en sorte que tant de vies se déroulent exactement de la même manière, à quelques petits détails près, le nom de l'épouse, la couleur du canapé, la race du chien. Luo elle aurait peut-être été heureuse en fraiche épouse dans un pavillon de campagne avec deux enfants et un chien. Bien sûr, ça ne lui arriverait sûrement jamais. Mais ce type de vie lui aurait peut-être plu. Sans autres soucis que la date de ses congés et le nom de la station balnéaire où ils partiraient en vacances, elle aurait eu tout le temps de dormir.
Elle fixa les moufles. Sembla réfléchir, eut un petit sourire en entendant les réflexions de John.
" Je ne suis pas sûre que tu aies vraiment compris, John... " fit-elle rêveusement, en enlevant doigt par doigt les mitaines qui, cette fois-ci, s'acharnaient à vouloir rester sur ses mains. Elle enleva la mitaine, mais sitôt s'était elle attaquée à l'autre qu'un fin gant de cuir était apparue sur sa main nue. Visiblement, ce n'était pas la peine de lutter. Elle haussa les épaules et continua néanmoins. " Je m'en fiche des garçons. Enfin pas vraiment. Mais dans l'absolu je m'en fiche. "
C'était des gants de ski, cette fois-ci.
" Tu vois, mes rêves, c'est comme... " Elle chercha une comparaison. " La drogue? L'héroïne? Je sais pas, je m'y connais pas. Une fois que t'as goûté à ce que c'est que mes rêves, tu peux plus... " Elle agita la main. " Ma vraie vie, elle est pas à la Waldon. Elle est quand je dors. " Elle sourit. " Dans mes rêves, à moi. Alors bien sûr vivre en vrai c'est bien aussi. Mais disons que ce n'est pas, voyons, ma priorité. "
Elle finit d'enlever des gants en laine rayés de toutes les couleurs.
" Alors ton Herbert... Si je me mariais avec lui, je suis sûre que je devrais organiser plein de soirées chiantes et de cocktails. Et même porter des chaussures à talons, alors "
Elle gonfla les joues, jeta une nouvelle paire de gants. Il y avait un joli petit monticule de gants sur le marbre du sol, maintenant. On pourrait peut-être les brûler, ça ferait un joli feu de joie. Elle imagina un instant la belle image que ça serait avant de se dire que ça puerait sans doute le plastique. Elle tourna un joli sourire vers John.
" Même si j'étais une débauchée comme toi, John, je penserais la même chose. Même si je ne doute pas ne pas m'être fait embrasser une seule fois par un garçon de ton, hum... " Elle réfléchit un instant. " ... standing. On appartient pas à la même catégorie de gens, je crois "