Oh. Elle lui faisait quoi là?
" C'est un peu bizarre. Je te comprends mais au final tu ne fais que te réjouir de la création de ton esprit, non? C'est un genre de masturbation. Un jour, tu finiras par t'ennuyer à crever, et quand tu voudras passer à autre chose tu n'auras plus le mode d'emploi. "
Cette pile de gants l'étonnait. On aurait dit les dépouilles de petits animaux, les paires se succédaient aux mains du Luo et chacune était dédaignée. Pauvre Herbert, cible de ces petits cadavres de laine, qui tenait ferme sa canne... John ressentit un petit élan de tendresse filiale, qui heureusement disparut bien vite.
" Dis moi, Luo, commenta-t-il sobrement, si je t'embrassais maintenant, est-ce que l'effet serait le même que dans la vraie vie? Et accessoirement, tu me donnerais moins de dos... "
Il se tut. Un véritable gentleman vivait pour le beau sexe sans exiger de dédommagement. En fait le gentleman n'embrassait pas la première greluche qui passe, mais Luo n'était pas une greluche et John effectuait des relectures très personnelles des règles établies. Hé! Il avait bien le droit de tenter le coup? On état sans SON rêve après tout, non? N'était-ce pas l'endroit idéal pour se laisser aller à une ou deux folies? Il congédia Herbert d'un petit signe de l'auriculaire, son frère fit un genre de courbette guindée et disparut comme il était arrivé : sans bruit et sans panache.
John se reconcentra sur Luo. Ce jean était vraiment vilain. Il songea à un genre de robe noire assez courte, avec un trench à peine plus long, un peu au dessus du genou. Il avait cru remarquer qu'elle avait froid, en plus. Il lui coula un petit regard en biais indéchiffrable. Elle allait sûrement le jeter. Beh, tant pis. Il s'achèterait une sucette à la fraise et lirai un mot d'Oscar Wilde sur l'inconstance des femmes pour se consoler.

Luo tourna un regard surpris vers lui.
A vrai dire, elle ne s'était pas attendue à ça. A vrai dire, elle n'aurait vraiment pas été contre se faire embrasser par John Rose. Vraiment pas. Mais elle fronça les sourcils. Est-ce qu'il se moquait d'elle? Ca n'en avait pas l'air. Il attendait quoi d'elle, exactement? Il avait cette expression de scientifique qui vient de soulever une hypothèse inconnue et qui l'examine sous toutes les coutures avant de l'essayer, ce regard qui la perturbait tant qu'elle ne s'aperçut même pas qu'elle était encore une fois changée - mais impossible de savoir si c'était une création de son esprit ou de celui de John.
Tentant de rester dans le ton sobre du chercheur en train de faire des hypothèses, elle se rassit correctement à côté de John Rose et sembla réfléchir à sa question.
" J'imagine que... " commença-t-elle.
Non, ça n'allait pas, sa voix n'était pas assez sûre. Elle attendit un peu et reprit :
" J'imagine que puisque c'est ton rêve, et que je suis là en visite et non pas en tant que création de ton esprit... Ce serait presque pareil que dans la vraie vie "
Son regard était fixé sur le mur du fond de la pièce, devant elle. Elle le regarda encore quelques instants de manière appuyée, puis se dit qu'il n'y avait pas de raisons de tant réfléchir pour une chose qui avait si peu d'importance pour le commun des mortels qu'un rêve et regarda à nouveau John.
Elle tenta de oprendre l'air désinvolte et y réussit plutôt bien.
" On pourrait peut-être essayer, alors... Non? "
S'il disait non, elle allait se sentir bête. Mais bête.

John fit une petite moue. SA fameuse moue. Celle qui, par le passé, avait fait fondre bien des femmes et des huissiers de justice ( si vous vous demandez ' pourquoi des huissiers de justice? '... Il sera bien temps de vous faire savoir plus tard.... sujet clos )
" Je croyais que tu préférais ' juste bien m'aimer ' ronronna-t-il en enroulant une de ses mèches blondes autour de son doigt. tu n'as pas peur que je casse un autre jouet? " ajouta-il avec une désagréable légèreté.
Ahah! L'insensible cédait. Sans doute elle pensait ' tout ceci n'est qu'un rêve, et quel mal y aurait-il à... ' Mais elle avait tort. ça, c'était la première faiblesse. Si elle acceptait maintenant, elle se laisserait fatalement entraîner, bientôt elle ne pourrait plus rien lui refuser. D'intéressantes après-midi se profilaient en perspective.
"Hé bien, c'est proposé si gentiment... Mais je crois que même si nous nous embrassions maintenant, nos sensations ne seraient toujours que de pures créations de nos esprits... "Il se passa la langue sur les lèvres avec gourmandise.
" Mais je suppose que tu t'en fiches.... "
Il eut un petit rire et se pencha vers Luo en passant un bras autour de sa taille. Quand ils furent tout près, son autre main remonta jusqu'à la joue et l'oreille, qui chatouilla pensivement, avec un énigmatique petit sourire de Joconde sur le visage. Et sans un mot il se rapprochait, se rapprochait...
" Et hop " chantonna-t-il, en gratifiant sa charmante secrétaire d'un langoureux baiser... Sur la joue. Un baiser, c'est beaucoup dire en fait. Le mot ' bisous ' serait plus près de la vérité.
" Alors, demanda-t-il, narquois, en tirant la langue. N'était-ce pas merveilleux? "
Ha, ça, c'était sûr, John c'était un autre standing.

Hum.
Il y eut comme qui dirait un blanc. Un genre de blanc figé qui tombe là comme une chape de plomb et qui y reste pour quelques bonnes secondes. Un blanc, quoi. Et le visage de Luo s'assombrit, sa bouche se tordant en une sorte de moue blasée.
D'accord. Il se foutait totalement d'elle, quoi.
" Ah, c'est sûr que toutes les femmes tomberaient après un baiser pareil. Je comprends mieux ce qu'elles te trouvent toutes, maintenant " soupira-t-elle en se dégageant des bras de John, juste pour la forme parce que l'espace restreint dans lequel ils se trouvaient ne lui permettait pas de faire un très grand écart. Elle regarda ailleurs, tentant de ne pas paraître trop vexée de sa petite blague - qu'il trouvait sans doute très drôle - parce qu'il prendrait ça comme une victoire sur elle et il ne la laisserait plus du tout tranquille, après. Bon, ne nous mentons pas, rien qu'avec ça, il n'allait pas la laisser tranquille de toute manière, vu comme c'était parti, mais on s'en fiche.
Elle roula des yeux intérieurement. Elle n'aurait jamais du accepter. Ni même paraître intéressée. Elle aurait du se rendre compte qu'il en profiterait pour faire quelque chose de stupide de ce style. Maintenant, elle avait officiellement l'étiquette 'quiche' collée sur le front. Bravo, ma petite Ludivine.
Ce n'était qu'un rêve. Mais pour sa santé mentale, il valait mieux qu'elle essaie de sauver la face tout de même, aussi elle éloigna le bras de John de sa taille et le rendit à ses propriétaire d'un mouvement du bout des doigts.
A cet instant, une nouvelle paire de gants se matérialisa alors sur ses doigts - mais elle n'avait pas vraiment envie d'analyser cette partie de son cerveau tout de suite et se contenta, en enlevant dignement les gants de laine de ses mains, de faire :
" Hé bien. De toutes façons peu de chances que tu casses quelqu'un de cette manière "

[ désolée, mon post est un peu nul > < blanc littéraire on va dire. ]

Ma parole, mais c'est qu'elle le provoquait, la bougresse! Si elle continuait à l'échauffer comme ça, il allait vraiment finir par... Mais non, non, il fallait garder son sang froid, ne pas perdre l'avantage si chèrement gagné.
" Ne me donne pas de mauvaises idées, Luo, miaula-t-il en roulant sur le dos, tu n'as pas envie de t'encanailler, tu le sais. Mais si plus tard, tu es mieux disposée... Tu sais où me trouver... "
Pour une raison complètement inconnue, une portée d'adorables chatons lui tomba sur le ventre, leurs petites pattes griffues s'enfoncèrent dans le moelleux de la peau, et John lâcha un petit ' ouch! ' assez peu viril. Sans ménagement, il en saisit un par la peau du cou et l'expédia par dessus la balustrade.
" Arg, sales bêtes " grogna John alors que six petites boules duveteuses se lovaient dans son cou en ronronnant.
John n'aimait pas les chats. Et donc, naturellement, les chats adoraient John. Il restait encore un espoir cependant. Luo le débarrasserait sûrement des satanées bestioles, les filles adoraient ces trucs là non? Oh, NO! Y'en avait un qui lui léchait la mâchoire!
John fit à Luo son regard de chaton suppliant ( quelle ironie ).
" Dis, tu voudrais pas m'aider à ôter ces choses? "
Elle aurait eu toute les raisons de l'envoyer balader superbement mais quelle femme pouvait dire non à John? Hein? Hein? Et puis, ce rêve prenait une tournure de plus en plus étrange. C'était quoi la suite? Les canards tomberaient du ciel?

Luo baissa vers lui un regard dédaigneux, fixa un instant son air d'adorable créature suppliante, et détourna la tête d'un mouvement sec de duchesse outrée.
" Pourtant, tu devrais bien t'entendre avec les chats, non? Vous êtes tout à fait conçus dans le même style "
Sur ces mots, elle entreprit l'enlever dignement des mitaines de cuir qu'elle retira sèchement et envoya du plus fort qu'elle le pouvait sur le lustre, qui esquiva l'attaque en se transformant en une nuée de papillons blancs qui filèrent dans un bruissement par la fenêtre. Elle n'était pas d'humeur à s'en émerveiller, cependant. Elle ne pouvait que noter que John avait un intérieur très délicat. Un genre d'intérieur de chateaux de contes de fée. Après les chatons, les papillons et le bruit de la mer, avec un peu de chance ils se récolteraient en prime la belle princesse alanguie et les trois bonnes femmes à chapeau pointu. Remarque, le John aurait fait un bien piètre Prince Charmant. Il n'aurait sans doute pas pu choisir laquelle sauver et aurait fatalement trompé Blanche-Neige avec Cendrillon. Dieu Merci, ce n'était pas demain la veille qu'on écrirait un conte sur lui.
La mitaine tomba donc sur le tas de gants. C'est vrai qu'on aurait un peu dit des cadavres, vu comme ça. Des petits cadavres de laine et de cuir. Charmant.
Elle leva le nez d'un air inspiré.
" Les chats sont... flemmards, ingrats et se pensent les rois du monde. Et passent leur temps à réclamer des caresses. "
Elle haussa les épaules.
" Vous êtes faits pour vous entendre, en somme. "
Sur ce, elle le regarda, et eut un léger élan de pitié. Elle attrapa un des chatons par la peau du cou - mais un seul, hein, il se débrouillerait pour les cinq autres - et le posa sur ses propres genoux.
" Et c'est très mignon quand c'est jeune, mais en veillissant, ça décrépit et ça prend du poids. "

Il haussa les sourcils.
" Allons, Luo, réfléchis. Tout l'alcool que j'ai dans les veines me conservera, à 70 ans j'aurai encore ma mine de jeune homme... "
Il expédiait les chatons les uns après les autres et leurs petits miaulements fusaient dans l'air. Finalement, il se rétablit et adopta une position plus digne. Il saisit les mains de Luo, ôta la nouvelle paire ( des gants de dentelle blanche ), et poussa un long soupir.
" Bon, bon, j'ai compris, je t'ai vexée. Désolé, ça n'a rien à voir avec tes charmes personnels, tu comprends? "
Non, elle ne comprendrait certainement pas. Il se frotta l menton. Pourquoi était-ce toujours si difficile avec les femmes?
" Tu es vraiment une tête de mule, tu sais? " souffla-t-il d'un ton plaintif, en secouant sa tignasse dorée. " Là, j'mexcuse ", murmura-t-il en se tendant de nouveau vers Ludivine, pour lui donner un véritable baiser, probablement.
Quand soudain...
" Hohoho, sifflota John, ses lèvres à un centimètre ou deux de celles de sa subordonnée, on dirait bien qu'on va devoir remettre ça à plus tard ~ "
Comme dans un vieux film donc la pellicule est trop usée, l'image sauta une ou deux fois, les couleurs se mélangèrent et le monde chavira, tout vira au vert, quelques bribes de souvenirs, entre deux battements de cils. John Rose et Luo Lewis revenaient sur la terre ferme.
À son réveil, John se sentit un peu groggy. Quelle heure était-il? Il fixa le mur d'en face d'un oeil vide une minute ou deux. Il se sentait faible et morne, et quelque chose l'irritait et l'agaçait, même s'il n'arrivait pas exactement à savoir quoi. Il remua la tête. Il avait un mal de crâne épouvantable.
Pour la troisième fois, son téléphone vrombit sur la table, la petite sonnerie énervante égrena ses notes. Ah, c'était ça qui l'avait réveillé... Il eut envie de vomir. Il baissa les yeux vers sa main gauche. Il sentait quelque chose de chaud dans sa main...
Il fut à peine surpris de voir cinq doigts maigres et blancs fermement entrelacés aux siens.

Luo se réveilla avec un beau mal de crâne et une forte envie de frapper quelqu'un.
Elle papillonna des paupières, les frotta de sa main gauche pour les décoller du sommeil, fronça les sourcils, tordit sa bouche en une moue endormie et mécontente. Bien sûr. Il fallait qu'ils se réveillent à ce moment-là. Obligé. Ca n'aurait pas été drôle, sinon. Elle ne savait pas encore si le fait que ce baiser ait encore une fois manqué était une bonne chose, mais là tout de suite, elle n'y pouvait rien, elle ressentait une exaspération et surtout une frustration profondes.
Qu'il n'allait pas falloir montrer, bien sûr.
Dès qu'elle s'aperçut que ses doigts étaient encore attachés à ceux de John, elle s'empressa de les décroiser, les emmenant fuir dans sa poche avant que John ne soit complètement réveillé, et releva le nez à travers ses mèches vers le jeune homme. Ses mèches redevenues vertes, d'ailleurs. Dans ce bien piètre monde, elle avait le choix de sa couleur de cheveux.
John Rose la fixait de son épais fauteuil de cuir et elle fronça les sourcils. Ne pas montrer ta gêne. Ne pas montrer ton trouble. Ne pas faire ta vierge effarouchée parce qu'il a failli t'embrasser il y a trente secondes dans une réalité parallèle. Dans ce monde-ci, elle n'avait pas le droit de faire l'idiote. Et elle était passée maître dans l'art de paraître insensible, de toute façon.
Elle se redressa très dignement et remit ses cheveux en place, s'appuyant au bord du fauteuil de John pour se relever et se retrouver dans une position plus digne.
" Enfin réveillé? " fit Luo d'un ton sec. " Vous avez du faire un cauchemar, vous n'arrêtiez pas de vous agiter. C'est pas croyable ça, vous endormir alors que je vous parle du boulot... "
Ca y est. Voici le retour de Miss Lewis et de Mister Rose.
Elle soupira.
" Je veux bien abandonner les dossiers pour aujourd'hui parce que vous avez pas l'air d'avoir la forme, mais je reviendrai, Rose, vous pouvez me croire " fit-elle en haussant les épaules de sa voix de méchante secrétaire.

John était en plein désarroi. Il était toujours un peu perdu, au réveil. Il fixa Luo., se concentra sur le souvenir déjà ténu de... De quoi? Haaa, ça allait lui revenir...
" J'ai.... articula-t-il très lentement. Rêvé? "
Il se laissa tomber dans son fauteuil, fixant Luo avec insistance. Mais oui, il voyait maintenant... ça avait un rapport avec sa secrétaire. Le papillon bleu était toujours posé dans l'angle droit du bureau. Le papi...
" Lustre! Heu, pardon. Je crois que je viens de faire une rêve bizarre, Luo... "
Il ne savait pas trop pourquoi mais il se sentait très bien disposé vis à vis de Miss Lewis. Quand il se tourna vers elle, il avait presque envie de la serrer dans ses bras, sans trop savoir pourquoi, d'ailleurs. Mais, ne soyez pas surpris, John avait un minimum de professionnalisme ( et j'appuie sur le minimum de manière emphatique ) et il ne lui serait pas venu à l'idée d'enlacer une femme, à moins que ce soir pour... hum. John est peut être encore moins professionnel que ce à quoi on pouvait s'attendre, en fait.
John se gratta la mâchoire. Il sentait les poils de sa barbe mal rasée et les fines cicatrices blanches sur son cou et son menton.
" J'étais au bord de la mer... Commença-t-il. j'étais plus jeune. Et je jurerais que vous étiez quelque part dans tout ce foutoir... "
Chaque petite seconde qui passait engloutissait son souvenir. Il sentit l'odeur de l'alcool et il eut la nausée. Il était triste aussi, un peu, comme s'il venait de quitter un endroit merveilleux sans avoir le droit d'y retourner. Luo devait ressentir la même chose lorsqu'elle... Ha! Mais bien sûr!
" Luo! Tu peux voir les rêves des gens n'est-ce... "
Et voilà, à trop s'agiter, le dernier fragment de rêve est perdu. Tout est brouillé, et pour toujours.
" Je... Rien. Excusez moi, Mademoiselle Lewis "
Même si John a oublié, Luo se souviendra. Après tout, les secrétaires ne sont elles pas là aussi pour se souvenir à la place de leur patron?

Quelque part elle aussi elle aurait aimé envoyer valdinguer les dossiers et l'enlacer, là, maintenant, tout de suite. S'asseoir sur lui dans l'épais fauteuil de cuir et défaire sa cravate, l'embrasser pour le baiser manqué de leur rêve. Elle aurait bien aimé et un bref instant elle faillit le faire, lâcher tout, mais bien sûr elle ne le fit pas. De toute façon, si elle avait été l'amante de John, il l'aurait oubliée. Il oubliait toutes les filles qui passaient dans son lit. Il les appelait Emily, Lula, Ann ou Lola sans plus se souvenir d'elles et allait se complaire dans les bras d'une autre le lendemain. Il ne comprenait pas les femmes qui lui résistaient mais s'ennuyait de celles qui cédaient. Elle était sa secrétaire mais à nouveau, il oublierait son prénom.
Elle préférait rester l'insensible, la secrétaire droite qui joue la nourrice pour son patron, remet bien sa cravate et lui rappelle ses rendez-vous d'affaire. La nourrice du gamin gâté insupportable qu'on ne peut pas s'empêcher d'aimer. Parce que c'était ce qu'il était, un sale gamin, elle le savait, mais quelque part elle ne voulait tellement pas le perdre, et si ce sentiment n'était pas de l'amour, elle aurait détesté être séparée de lui. C'était comme ça, quitte à jouer la frigide. Elle ne s'en plaignait pas, non, mais en ce bref instant elle aurait bien fait les choses sans réfléchir, pour une fois.
Elle tressaillit lorsqu'il évoqua son don, mais l'instant d'après il se reprenait, confus, s'excusant. Elle fronça les sourcils. John s'excusait. C'était arrivé deux fois en moins d'une minute, dans la réalité et dans le rêve, mais quelque chose ne tournait pas rond. 'Mademoiselle Lewis', ça aussi, c'était trop poli pour être honnête.
Elle décida donc de prendre son air de secrétaire professionnelle.
" Pourquoi vous excusez-vous? " demanda-t-elle d'un air étonné en s'approchant du bureau. " Bah, c'est pas grave " fit-elle pour qu'il ne remette pas le sujet de son don sur le tapis. " Vous n'avez pas l'air motivé pour ces dossiers - quel euphémisme - alors je vais vous les laisser là et vous les signerez si vous avez un sursaut de conscience professionnelle, d'accord? "
Elle tapota les dossiers de la pointe de son bic.
" Quinze minutes. Vous n'avez qu'à penser à une quelconque jolie fille en le faisant, ça passera tout seul. Ou que vous signez des autographes "

" Je m'excuse parce que... Parce que... "
Tiens, c'est vrai, pourquoi s'excusait-il? Il avait une impression étrange. Bah, il devait se faire des idées.
" Dites Luo, ça vous dit un dîner aux chandelles ce soir? " lança-t-il moitié rieur, moitié sérieux, en attrapant un dossier sur le haut de la pile et en l'ouvrant à la page que sa secrétaire avait marquée. Il signa distraitement avant de relever les yeux vers sa subordonnée, une expression indéchiffrable sur le visage. S'il propose ça de cette façon c'est dans doutes parce que je viens d'avaler une dizaine d'épisode de durarara et ça me met de tellement bonne humeur que j'en tapote n'importe quoi.
" Ou alors une sortie, je ne sais pas.... " continua-t-il en posant les pieds sur le bureau, signant un autre dossier d'un air absorbé " Histoire de me faire pardonner de ne jamais être coopératif. "
Il mâchonna la pointe de son BIC avant de resserrer sa cravate. Il se surprenait lui même. Il parcourut une page imprimée de petits caractères. Finalement, Luo avait raison, ça n'était pas si terrible. Il tressaillit. Mais si, c'était terrible! Un homme de son raffinement ne pouvait décemment pas se complaire dans le travail. C'était d'un populaire. Allez John, relève la tête vers ta grande méchante secrétaire comme un grand garçon, et prépare toi à recevoir le râteau de ta vie. Mais, hé, il fallait bien essayer, quitte à s'y casser les dents, quand on voulait quelque chose. Il fixa d'abord le sourcil gauche de Ludivine, puis sont nez et enfin il se dit qu'elle n'allait pas le battre à mort à coups d'agrafeuse et la fixa dans les yeux.
" Alors? Tentée? "
La peste si elle refusait.

Luo fronça les sourcils comme si elle avait mal entendu. Déglutit. Et tourna la tête vers John qui la regardait, moitié rieur moitié sérieux. John qui était en train d'essayer de se se faire pardonner. John en train de signer ses dossiers. John qui disait des choses clairement.
Tout le contraire de d'habitude, quoi.
Elle pensa un instant poser la main sur son front et lui demander s'il avait de la fièvre, ou même prendre ses papiers pour vérifier son identité ou lui demander si c'était son jumeau maléfique qui parlait. Mais il fallait s'y faire, c'était bien John. John, ses cheveux blonds, ses yeux noisette - pas marron hein, noisette - et son air de gamin tombé du jardin d'Eden en smoking. Bah ouais, c'était bien John.
Comme de juste, elle afficha une expression perplexe - relativement justifiée.
" Je... Enfin... Pourquoi? "
Elle n'arrivait pas à dire si elle en avait envie ou pas. Bon, d'accord, elle en avait envie, mais elle ne savait toujours pas si c'était une bonne ou une mauvaise chose. Bon, John était suffisamment bien élevé pour ne pas la plaquer dans un coin sombre à la sortie d'un restaurant, mais une petite pointe de peur, ou d'appréhension, se planta dans son ventre un bref instant. Elle se prit les mains, les tordit légèrement, et arrêta.
" Pourquoi pas mais... "
Elle s'arrêta et afficha une moue.
" Vous êtes beaucoup plus prévenant que d'habitude, là. C'est louche. Il vous est arrivé quelque chose? "

Il eut un petit rire, et regarda par la fenêtre. Il ferait beau aujourd'jui.
" Disons que... il tendit les bras devant lui puis les écarta, comme s'il avait voulu étreindre quelque chose de monstrueusement large ou alors juste présenter avec un ' tadaaaaaam ' sa dernière maquette pour le projet sur les rouleaux de PQ, 10 000 tonnes à écouler en chine, j'ai eu un rêve, poursuivit-il. Quand je me suis réveillé j'ai senti que je devais vous faire plaisir, sinon quelque chose de terrible va m'arriver. "
Mais non, ma petite Luo, il ne va pas te plaquer contre un mur. Figurez vous que John, après avoir testé un peu de tout un peu partout, a conclu que rien ne valait un bon matelas moelleux ou alors une accueillante couche de dossiers étalés sur un bureau juste à la bonne hauteur. D'ailleurs le sien était un peu trop bas, il lui en faudrait un plus haut à l'avenir, ça le gênait heu... Hé bien, les après midis ou Luo n'était pas là et où il avait envie de s'amuser.
" Alors? - Il lui fit son sourire le plus craquant par dessus son stylo - Je passe vous prendre à quelle heure? Vous aimez la cuisine italienne? "
Il y avait une adresse qu'il aimait bien, un italien très chic à l'angle de... Il faudrait qu'il redemande la rue, une fois chez lui. Le patron était homosexuel, probablement. Ce qui expliquait qu'il lui fasse de tels prix. Probablement. En tout cas leur carbonora était délicieuse, et tout était tellement mauvais pour la santé que c'en était presque addictif. Et puis la cuisine méridionale était plus chaleureuse. Pas la cuisine chinoise, ça non. Ils leur piquaient déjà assez de parts de marchés, ces sales jaunes.
Tout en parlant la pile de contrats et formulaires baissait à vue d'oeil. John se demandait par moment comme Mrs Felton réussissait à faire tourner l'entreprise si personne ne travaillait, et surtout pourquoi embaucher tous ces gens... Même pour lui, le directeur adjoint, tout cela restait mystérieux. Peut être que Mrs Felton aimait juste observer la façon dont vivaient les gens? Il y avait secret story pour ça.

Luo s'adossa au bureau et baissa les yeux pour la forme, triturant le bout de son short à pois qui s'effilochait. Ne pas lui donner l'impression que c'était trop facile, surtout. Bon, d'accord, elle avait déjà accepté et il lui jouait le numéro du golden boy souriant qui compte bien finir la soirée dans votre lit, mesdames, mais autant sauver les apparences et se donner l'impression que l'on maîtrise même un tout petit peu la situation. Un tout petit petit peu. Un tout petit petit pet...
Elle releva la tête et posa la main sur la table, à côté des dossiers, envoyant valdinguer le stylo qui roula sur la table et s'arrêta à quelques centimètres du rebord, comme par miracle.
" Je m'y connais pas en cuisine italienne, mais si vous insistez... "
Haha, le 'si vous insistez'. Imparable.
" Et puis vous savez où j'habite, au moins? "
Question stupide. John avait accès à toutes les données sur tous les membres de la Waldon et il lui suffisait d'un clic pour obtenir toutes les informations possibles et imaginables sur Luo - son adresse, sa date de naissance, son groupe sanguin, le prénom de sa grand-mère, le nom de son chien et les boys band qu'elle écoutait quand elle était jeune. Elle était presque sûre que la base de données qu'avait amassée Felton sur ses victi... pardon, employés contenait des informations de ce style. Et John, en toute logique, pouvait y accéder.
Mais passons, elle cherchait juste à ne pas jouer la fille facile là tout de suite. Elle remit en place une mèche de ses cheveux verts et eut un léger sourire. Si Monsieur Rose l'amenait dans un restaurant classe, on risquait de la remarquer avec ses cheveux verts et ses bottes en plastique. Bah, quelque part, cela la ferait plus rire qu'autre chose et elle était presque sûre que John s'en fichait.
Elle haussa les épaules.
" Bon. Alors qu'est-ce que vous dites de huit heures? Par contre, je n'ai ni talons ni robe de soirée " prévint-elle.

" On s'en fiche. J'ai failli vous proposer un Mac Do mais vous m'auriez traité de radin. J'adore Mac Do. N'est-ce pas délicieusement dépaysant? Enfin, si cela vous gêne, je peux toujours vous faire porter une robe et des chaussures à votre taille dans le courant de la journée... Dites, ça ne vous dérange pas si nous nous retrouvons disons... à huit heures trente? "
Il avait rendez vous avec une ancienne camarade d'université à six heures. En comptant qu'il arriverait avec une demi heure de retard, qu'il lui faudrait au minimum une bonne heure pour conclure ( c'était une tenace celle là, s'il s'en souvenait bien ), cela lui laissait juste le temps de repasser chez lui pour se changer, aller chercher Luo et l'emmener au restaurant. Comment ça, un sale coureur de jupon?
" D'ailleurs, c'est très mignon quand vous faites semblant de vous tâter. Pendant un moment j'ai failli croire que vous me faisiez une faveur... Bon, c'pas l'tout... "
En milieu de matinée, John avait toujours un coup de fatigue. C'était lié à son souci éthylique. Il tituba un peu en se relevant et fit un petit signe à Luo. Bon sang, il était en pleine sortie classieuse, c'était pas le moment de se sentir mal. Il avait vraiment envie de vomir maintenant. Plus jeune, il avait la nausée en permanence, mais au fil des années il s'était habitué. Il n'avait jamais rien connu d'autre, de toute façon. Parfois il se disait même que la vie ne devait pas être drôle sans cette délicieuse sensation de flottement que procurait l'alcool. Pourquoi croyaient-ils tous qu'il était si indolent? Si tout souriait à John c'est parce qu'il n'avait peur de rien, il est trop ivre pour se rendre compte que son petit monde tient en équilibre instable. Alors, il peut bien supporter quelques désagréments.
" Je passerai vous prendre à l'heure convenue. Ha, s'il vous plaît. Pas de parfum. Les filles aiment bien en mettre en ce genre d'occasion mais ça me rend toujours malade. "
Et, en chancelant, il passa la porte, sans se retourner.